Trahison diplomatique, fiasco industriel, dépendance stratégique… Quatre ans après l’annonce surprise de l’alliance Aukus, l’Australie émet de nouvelle réserve. L’accord qui promettait puissance et protection face à la Chine, soulève de nouvelles critiques et inquiétudes, et ce jusque dans les rangs de la marine australienne.
Un pacte dans le dos de la France
Le 15 septembre 2021, l’Australie provoquait un séisme diplomatique en rompant brutalement un contrat de 56 milliards d’euros, pour l’acquisition de 12 sous-marins, signé avec la France. À la place, le gouvernement australien annonçait un accord militaire tripartite, nommé Aukus, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, pour la fourniture de SNA (sous-marins nucléaires d’attaque) sur un très long terme. Un « coup dans le dos » dénoncé à l’époque par Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères. Une trahison dont la blessure reste encore vive du côté français.
Un projet titanesque, mais irréaliste
Quatre ans plus tard, les doutes continuent de se multiplier en Australie sur la faisabilité du projet. Aukus prévoit la livraison à partir de 2040 d’une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire, pour un coût estimé à 370 milliards de dollars australiens (environ 235 milliards de dollars américains), soit 4x plus que le contrat français initial. C’est la première torpille.
La seconde ne tarde pas à être tirée : les chantiers navals américains sont en réalité saturés. Les États-Unis peinent à produire leurs propres sous-marins de classe Virginia, nécessaires au maintien de leur flotte. Selon Peter Briggs, ancien amiral de la marine australienne, « il est tout simplement irréaliste d’espérer que Washington livre trois Virginia à Canberra dans les temps ». « Ce plan était vicié dès le départ », juge-t-il dans une interview donné au journal Le Point.
Des sous-marins hors de portée ?
Troisième salve, le modèle SSN-Aukus, développé par les Britanniques, est encore en 2025 au stade de la planche à dessin. Ce mastodonte de plus de 10 000 tonnes, deux fois plus gros que le Suffren français, nécessitera plus de 100 marins à bord. Une hérésie pour un pays de 27 millions d’habitants, qui peine déjà à recruter.
C’est un rêve, pas un plan. Le réacteur britannique est techniquement irréalisable selon leurs propres auditeurs. Et pendant que nous attendons, notre flotte actuelle de Collins prendra sa retraite sans remplacement.
– Peter Briggs, ancien Rear Admiral de la Royal Australian Navy
La tentation française, vers une évacuation d’urgence ?
Face à cet échec programmé, le contre-amiral à la retraire tire un énième torpille dans les pages du Point. Il y plaide pour un retour vers accord franco-australien. Selon lui, le Suffren, sous-marin nucléaire d’attaque français de la classe Barracuda, serait la meilleure alternative. Moins coûteux, plus compact, adapté aux besoins et aux moyens australiens. Et surtout, disponible bien avant les modèles Aukus, encore au stade d’hypothétiques.
Il faut payer le prix de notre erreur de 2021, mais le Suffren reste le seul plan B crédible. Il faut s’asseoir avec Paris et discuter .
– Peter Briggs, ancien Rear Admiral de la Royal Australian Navy
Une dépendance stratégique aux États-Unis
En réalité cet accord « britano-americano-australien » n’est pas motivé par des questions industrielles. L’Aukus place l’Australie sous dépendance directe de la puissance militaire américaine. En échange de quelques contre-parties, Canberra accepte l’installation de sous-marins américains sur son territoire, notamment à la base de Perth. « Les États-Unis y trouvent un avantage immense : déployer leur flotte loin de la portée des missiles chinois, contrairement à Guam », souligne Peter Briggs. Ce qui soulève la question de la souveraineté australienne.
L’alliance inquiète d’autant plus que le retour au pouvoir de Donald Trump, en janvier 2025, jette un froid à l’international sur la fiabilité du partenaire américain. À peine revenu à la Maison-Blanche, le milliardaire ultraconservateur a suscité une chute de 20 points dans la confiance des Australiens envers les États-Unis, selon le Lowy Institute.
Un consensus politique en déclin
Malgré ces sons du branle-bas, les deux grands partis australiens (travaillistes et conservateurs) continuent pour l’instant de défendre l’accord. Mais les fissures dans la coque continuent d’apparaitre. Malcolm Turnbull, ancien Premier ministre australien, qualifie l’Aukus de « calamité injuste pour l’Australie ». Paul Keating, autre ex-chef du gouvernement australien, estime quant à lui que « le pays s’est vendu à Washington ».
Les élections législatives de mai 2025 pourraient rebattre les cartes. Un retour du débat stratégique, loin de toute ingérence étrangère, est espéré par ces voix dissidentes dont fait parti l’Amiral Briggs : « Il est temps de reconnaître que nous nous sommes trompés. »
Enjeux géopolitiques et illusions perdues
Face à la montée en puissance de la Chine, l’Australie a fait le choix d’un alignement total sur les États-Unis avec la participation du Royaume-Unis. Mais le plan Aukus, loin d’apporter les garanties promises en 2021, semble aujourd’hui lier Canberra à un partenaire instable, sur un projet dénoncé comme techniquement bancal et financièrement délirant.
Côté français, les ventes de ses sous-marins se portent bien puisque c’est 4 nouveau SNA qui ont été commandé en septembre dernier par les Pays-Bas. Peut-être que l’avenir de la flotte australienne passe paradoxalement par l’allié français.