Les « avantages à vie » des ex-Premiers ministres dans le viseur de Sebastien Lecornu

Le chef du gouvernement a annoncé la suppression, dès janvier 2026, des avantages accordés sans limite de durée aux anciens locataires de Matignon. Une décision à la portée budgétaire limitée mais au retentissement politique certain.

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Sébastien Lecornu a annoncé la fin, dès janvier 2026, des privilèges « à vie » des anciens Premiers ministres – voitures, secrétariats et protections policières – pour en faire des dispositifs limités et conditionnés.
Sébastien Lecornu a annoncé la fin, dès janvier 2026, des privilèges « à vie » des anciens Premiers ministres – voitures, secrétariats et protections policières – pour en faire des dispositifs limités et conditionnés.

C’est un symbole qu’il a choisi d’attaquer dès son arrivée à Matignon. Sébastien Lecornu a annoncé la fin des « avantages à vie » dont bénéficiaient les anciens Premiers ministres. Voitures avec chauffeur, secrétariats particuliers, protection policière : autant de dispositifs financés par l’État et critiqués de longue date. « On ne peut pas demander aux Français des efforts si ceux qui sont à la tête de l’État n’en font pas », a-t-il justifié. La mesure entrera en vigueur le 1er janvier 2026.

Des droits hérités de la Ve République

Ces privilèges trouvent leur origine dans des pratiques instaurées sous la Ve République pour assurer la continuité et la sécurité des plus hauts responsables politiques. Dès les années 1980, chaque ancien Premier ministre s’est vu attribuer une voiture avec chauffeur et un secrétariat particulier. En 2019, un décret signé par Édouard Philippe a réduit une partie du dispositif : le secrétariat est désormais limité à dix ans et ne peut être maintenu au-delà de 67 ans. Mais les avantages « à vie » n’avaient jamais été totalement remis en cause, notamment en ce qui concerne le véhicule et la protection policière.

Aujourd’hui, dix-sept anciens Premiers ministres sont concernés, de Lionel Jospin à Jean Castex, en passant par Manuel Valls, François Fillon, Élisabeth Borne ou encore Dominique de Villepin. Tous n’en font pas usage, mais l’État reste tenu de financer ces dispositifs.

Un coût réel mais surtout une question de symbole

Le coût global de ces avantages est évalué à 4,4 millions d’euros par an, dont 2,8 millions pour la sécurité, selon les données officielles citées par Le Monde. Les frais liés aux chauffeurs et secrétariats représentent environ 1,6 million. Individuellement, les montants oscillent entre 80 000 et 200 000 euros par bénéficiaire et par an. Dominique de Villepin, par exemple, a mobilisé en 2024 près de 207 000 euros de dépenses, dont 198 000 en frais de personnel. François Fillon a coûté près de 150 000 euros, Lionel Jospin environ 158 000 euros. À l’inverse, Jean Castex n’a généré que 4 200 euros de dépenses, Édouard Philippe et Laurent Fabius aucun frais, bénéficiant déjà de moyens au titre d’autres fonctions.

À l’échelle des 500 milliards du budget de l’État, la somme est marginale. Mais dans l’opinion, ces avantages cristallisent les critiques sur les privilèges des élites politiques. « C’est une anomalie, nous sommes le seul pays européen à maintenir de tels avantages », souligne la sénatrice centriste Nathalie Goulet, à l’origine d’un amendement adopté au Sénat en janvier dernier, mais enterré par l’Assemblée.

Un geste politique plus qu’économique

Pour l’exécutif, la portée de la réforme dépasse largement l’économie réalisée. Lecornu insiste sur la nécessité d’un signal d’exemplarité : les anciens Premiers ministres ne bénéficieront plus de droits permanents, mais de dispositifs limités dans le temps et conditionnés. La protection policière, en particulier, ne sera maintenue que « selon la réalité du risque », après évaluation par le ministère de l’Intérieur.

Certains anciens responsables accueillent favorablement cette décision. Dominique de Villepin s’est dit « favorable à la suppression de toute forme de privilège » dans un entretien à L’Express. D’autres jugent la mesure encore incomplète. « Si les chauffeurs et secrétariats disparaissent, il restera toujours des angles morts », estime un ancien conseiller ministériel interrogé par BFMTV, qui rappelle que la protection policière restera coûteuse et sensible.

Un débat ancien et européen

La question revient régulièrement dans le débat public. Dès 2014, un rapport de la Cour des comptes appelait à un encadrement strict de ces dispositifs, sans succès. Le sujet avait resurgi en 2019 lors de la publication du décret réformant le secrétariat. Et en 2025, le Sénat avait déjà voté la fin de ces privilèges, avant que le gouvernement Borne ne s’y oppose. Sebastien Lecornu, en reprenant le dossier, s’inscrit dans une continuité de critiques anciennes mais jamais suivies d’effet.

Comparaison internationale à l’appui, ses partisans soulignent que la France faisait figure d’exception. En Allemagne, les anciens chanceliers disposent encore de bureaux et de collaborateurs, mais dans un cadre légal strict et avec un plafond budgétaire fixé par le Bundestag. En Espagne ou au Royaume-Uni, les avantages sont plus restreints, souvent conditionnés à l’exercice d’une activité publique. « On doit s’aligner sereinement sur ce qui se fait ailleurs », a résumé Thierry Breton, ancien ministre de l’Économie, sur France Info.

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