Consentement : la nouvelle définition du viol divise les juristes

L’inscription explicite du consentement dans le code pénal, saluée comme une avancée historique, suscite de fortes réserves parmi les spécialistes du droit, inquiets d’une réforme plus symbolique que maîtrisée.

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Mur avec un tag concernant le viol

Adoptée à l’unanimité au Sénat après un vote quasi consensuel à l’Assemblée nationale, la réforme du code pénal redéfinit le viol comme « tout acte sexuel non consenti ». Elle introduit pour la première fois la notion de consentement, défini comme « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Pour le gouvernement comme pour les députées Marie-Charlotte Garin (Écologiste) et Véronique Riotton (Renaissance), à l’origine du texte, il s’agit d’un « tournant culturel » censé instaurer une véritable « culture du consentement ».

Mais au-delà de l’unanimité politique, de nombreuses voix s’élèvent dans le monde juridique. « Le texte modifie profondément l’équilibre de la procédure pénale », estime Me Stéphanie Legrand, avocate au barreau de Paris. « Il risque d’entraîner une inversion implicite de la charge de la preuve, car la défense devra désormais démontrer l’existence du consentement, et non plus seulement contester la contrainte ou la violence. » Une inquiétude partagée par plusieurs magistrats, qui redoutent un contentieux accru et une insécurité juridique dans l’interprétation des faits.

Une réforme à la portée avant tout symbolique

Certains pénalistes rappellent que la jurisprudence reconnaissait déjà la notion d’absence de consentement à travers les critères de contrainte, menace ou surprise. « L’évolution du texte a surtout une valeur pédagogique et politique, mais elle n’apporte pas de bouleversement juridique majeur », analyse le professeur de droit pénal Éric Duval. « En revanche, la formulation retenue est ambiguë et pourrait créer des attentes irréalistes du côté des victimes. »

D’autres s’inquiètent du risque d’une interprétation trop extensive. Le Conseil d’État, dans son avis de mars dernier, avait lui-même pointé un problème de rédaction, jugeant que le nouvel article manquait de clarté et laissait « une marge d’appréciation trop large » aux tribunaux. Certains avocats craignent que le texte ouvre la voie à une contractualisation implicite des relations sexuelles : « On ne peut pas réduire le consentement à un acte formel », prévient Me Legrand. « Le risque, c’est de faire peser sur les couples une suspicion permanente, ou de confondre regret et absence de consentement. »

Les associations féministes divisées

La réforme a pourtant reçu le soutien appuyé du gouvernement et de nombreuses ONG, dont Amnesty International. Mais elle ne fait pas l’unanimité parmi les militantes. Certaines associations jugent la définition trop prudente, d’autres estiment qu’elle détourne l’attention du problème principal : l’application effective du droit existant. « Ce n’est pas le code pénal qui manquait, mais les moyens d’enquête et la formation des magistrats », souligne Émilie Bouvier, présidente du collectif #NousToutes.

Le texte prévoit d’ailleurs un suivi de son application dans les deux ans à venir. L’UFC-Que Choisir des droits des femmes, pour sa part, appelle à « une véritable éducation au consentement dès le plus jeune âge », afin que la réforme ne reste pas un symbole.

En rejoignant la Suède, l’Espagne ou la Norvège, la France s’aligne sur un modèle juridique plus protecteur des victimes. Mais, selon plusieurs juristes, elle entre aussi dans une zone grise où la recherche d’un équilibre entre liberté sexuelle et sécurité juridique s’annonce délicate. Comme le résume un magistrat du parquet de Paris : « C’est une belle idée, mais le droit pénal ne se réforme pas à coups de slogans. »

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Après des études en Affaires Publiques et à HEC Montréal, Timothé devient journaliste pigiste. Il collabore avec de nombreux médias français depuis Montréal.
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