Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan : Leïla Bekhti en mère courage, dans un mélo sincère et inspiré

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Adapté du récit autobiographique de Roland Perez, le film retrace l’histoire de ce fils né avec un pied bot, élevé dans une famille juive d’origine marocaine installée à Paris, et porté à bout de bras par une mère persuadée que son enfant « marchera comme tout le monde ». Derrière cette trajectoire intime se dessine un portrait d’époque, de quartier, de communauté, mais aussi un hommage vibrant à une figure maternelle charismatique, haute en couleurs, que Leïla Bekhti incarne avec une force rare.

Leïla Bekhti impressionne, Jonathan Cohen surprend

C’est elle, Esther, qui tient le film. Bekhti, grimée, voilée, inflexible, impose immédiatement sa présence. Elle parle fort, elle marche vite, elle bouscule médecins et rabbins, elle rêve en silence d’un avenir meilleur pour son fils. Elle est tour à tour dure, émouvante, drôle malgré elle. Et si le film tient du mélo, ce n’est jamais par excès de pathos mais par conviction : celle que les larmes peuvent dire autre chose qu’un drame. La comédienne évite tous les pièges du rôle : celui de la mère sacrificielle caricaturale, celui de la matriarche autoritaire folklorique. Elle compose une femme ancrée, opaque, traversée par une foi inébranlable et une forme d’incompréhension devant le monde qui change.

Face à elle, Jonathan Cohen laisse tomber son costume habituel de pitre bruyant pour incarner Roland adulte, dans un jeu tout en retenue. Il ne cherche pas à voler la vedette, ni à forcer l’émotion. Il est spectateur de son propre récit, ce qui fonctionne étonnamment bien. L’enfance du personnage est confiée à Yoni Azoulay, jeune acteur non-professionnel remarquable, qui capte d’un regard les humiliations à l’école, la solitude à l’hôpital, mais aussi la joie de danser dans le salon familial sur des disques de Sylvie Vartan. Car c’est là l’un des ressorts du film : cette icône pop, lointaine et pourtant si proche, qui devient refuge, rêve, promesse de lumière dans le monde gris des rendez-vous médicaux.

Un film de souvenirs, mais sans nostalgie

Le film, mis en scène par Frank Castorf, évite soigneusement la carte postale. Il reconstitue les années 60 et 70 avec une économie de moyens, mais une grande précision dans les décors, les costumes, les attitudes. Le Paris des quartiers populaires, les salles d’attente saturées, les appartements surpeuplés sont filmés sans esthétisation excessive. La mise en scène choisit la frontalité : pas de fioritures, pas de filtres pastels, mais un regard assez brut, presque documentaire par instants, qui rappelle que le propos n’est jamais de faire joli, mais de raconter vrai.

L’écriture, signée Roland Perez lui-même, appuyée par Murielle Magellan, trouve le bon équilibre entre respect du réel et dramatisation nécessaire. On y croise des médecins qui doutent, des voisins bienveillants ou cruels, des membres de la famille plus ou moins compréhensifs. On rit peu, mais on sourit souvent, surtout quand Esther impose ses règles à tout le monde avec une logique qui n’appartient qu’à elle. Le ton du film est à son image : pas ironique, pas désabusé, mais droit, têtu, parfois naïf.

Certaines scènes touchent juste sans appuyer : une opération chirurgicale racontée à hauteur d’enfant, un cadeau trop grand offert par une mère qui refuse la fatalité, une chanson écoutée en boucle comme une prière. D’autres, en revanche, frôlent la redite ou la surcharge émotionnelle, notamment dans la dernière demi-heure, où l’alternance entre souvenirs et présent devient plus prévisible.

La présence de Sylvie Vartan, dans son propre rôle, arrive tard dans le récit mais fonctionne. Elle ne joue pas la star inatteignable, mais l’alliée bienveillante, témoin muette d’un destin qu’elle a marqué sans le savoir. Sa scène avec Leïla Bekhti, brève mais intense, donne au film une boucle douce et inattendue, comme un rêve d’enfant devenu réalité sans que personne n’ose y croire vraiment.Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan : Leïla Bekhti en mère courage, dans un mélo sincère et inspiré

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