La rentrée a de nouveau mis en lumière les fragilités structurelles du département. Absence de professeurs, manque de remplaçants, classes non pourvues, mobilisation des parents d’élèves. En parallèle, la fermeture annoncée de la maternité des Lilas suscite une vive inquiétude, symbole d’un territoire où chaque recul du service public devient un marqueur politique. C’est dans ce climat que paraît « 9-3 : Une histoire plurielle de la Seine-Saint-Denis », un livre qui entend redonner de la profondeur à un espace souvent présenté sous un angle exclusivement négatif.
Antoine Tricot adopte une méthode simple et efficace. Il s’attache à des lieux, des trajectoires, des luttes collectives pour raconter comment s’est façonné le département le plus jeune et le plus populaire de France. Cette approche permet d’éclairer autrement ce qui, aujourd’hui encore, nourrit les tensions autour de l’école, de l’hôpital ou du logement.
Un territoire raconté à hauteur d’habitants
L’auteur propose onze séquences qui traversent des rues, des cités, des friches industrielles et des espaces associatifs. On y croise les héritages ouvriers, les arrivées successives de populations immigrées, les transformations urbaines qui redessinent les villes du nord-est parisien. Ces récits permettent de comprendre la densité sociale du 93 et l’attachement de ceux qui y vivent, souvent invisibles dans les représentations médiatiques.
Ce travail met en lumière une constante : la Seine-Saint-Denis est un territoire où les habitants pallient souvent les carences institutionnelles. Les collectifs de parents d’élèves, particulièrement mobilisés ces dernières semaines, en sont une nouvelle preuve. Leur action prolonge une tradition de solidarité locale qui traverse l’histoire du département depuis la désindustrialisation des années 1980.
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Les pages consacrées aux services publics résonnent particulièrement aujourd’hui. Antoine Tricot rappelle que les écoles, les crèches ou les hôpitaux ont été construits pour accompagner une croissance démographique rapide. Leur affaiblissement progressif explique en partie la colère actuelle. Dans certains passages, l’auteur évoque un territoire « toujours en avance sur les crises nationales », où les difficultés se manifestent plus tôt et plus intensément qu’ailleurs.
Une lecture qui dialogue avec l’actualité récente
La fermeture annoncée de la maternité des Lilas donne une résonance immédiate à l’ouvrage. L’établissement, figure historique du département, est présenté par Tricot comme un lieu emblématique d’un service public de proximité ancré dans les pratiques locales. Sa disparition prochaine incarne, pour de nombreux habitants, un recul de la prise en charge humaine au profit de logiques budgétaires.
Le même écho se retrouve dans les chapitres dédiés à l’école. La mobilisation des enseignants et des familles depuis la rentrée confirme les constats que l’auteur documente sur la longue durée. Les retards d’investissement, les écarts persistants avec les départements plus favorisés et la fatigue institutionnelle alimentent un sentiment d’injustice qui dépasse largement les seuls enjeux éducatifs.
Une œuvre accessible qui redonne du relief à un département caricaturé
En retraçant l’histoire longue du 93, le livre permet ainsi de replacer l’actualité dans une perspective plus large. La crise des collèges ou la fermeture des Lilas n’apparaissent plus comme des épisodes isolés, mais comme les dernières manifestations d’un déséquilibre ancien entre la croissance du territoire et les moyens accordés pour l’accompagner.
Le principal mérite du livre est de proposer une lecture humaine et incarnée d’un espace trop souvent réduit à des statistiques ou des faits divers. Sans chercher à embellir la réalité, Antoine Tricot montre un département complexe, traversé par des contradictions réelles, mais aussi par une vitalité sociale rarement visible dans le débat national.
Disponible aux éditions du Seuil – 19 euros


