Jamais les espions n’ont été aussi nombreux. Jamais les États n’ont autant investi dans le renseignement. C’est le constat dressé par Bruno Fuligni dans L’Atlas secret du renseignement publié chez Gründ. Haut fonctionnaire, historien et grand curieux des archives d’État, l’auteur propose une plongée fascinante dans les coulisses du pouvoir invisible. En plus de cent trente cartes et infographies, il décrypte un univers où s’entrecroisent satellites, agents clandestins et guerres d’influence.
« Rassembler des sources ouvertes dans un même document, c’est déjà faire du renseignement », explique-t-il avec humour. Pour lui, les services secrets connaissent depuis dix ans une expansion sans précédent. « Il n’y a jamais eu autant d’agents, d’officiers et de moyens techniques qu’aujourd’hui », souligne-t-il, rappelant que la géopolitique contemporaine repose de plus en plus sur la maîtrise de l’information.
Les capitales du secret
L’ouvrage révèle la géographie mondiale du renseignement. Londres, Washington, Paris ou Tel-Aviv y figurent aux côtés de lieux plus inattendus comme Tallinn ou Gotland. Chaque carte met en lumière les réseaux, les points de passage et les bases discrètes où se joue une part de la sécurité mondiale. « On croit que le renseignement est invisible, mais il laisse toujours des traces », note Fuligni.
Certaines pages évoquent aussi les repaires historiques des espions, de l’hôtel Sacher à Vienne au club de la Païva à Paris. Cette demeure de la haute société du XIXᵉ siècle, fréquentée par diplomates et agents, servait déjà de point d’observation privilégié. Ces anecdotes contribuent à dresser un panorama vivant d’un monde où la frontière entre diplomatie et espionnage reste poreuse.
De la taupe à l’espion numérique
Fuligni décrit avec précision les différentes figures de l’espionnage moderne. Les taupes, infiltrées dans les administrations ou les entreprises stratégiques, demeurent le rêve absolu de tout service. D’autres agents, formés très jeunes, mènent de longues missions sous fausse identité. Mais à ces profils classiques s’ajoutent désormais les analystes de données et les experts en cybersécurité, véritables espions de l’ère numérique.
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L’auteur s’intéresse aussi au « renseignement vert », une forme d’espionnage environnemental utilisée pour vérifier la réalité des engagements climatiques. Images satellites, capteurs infrarouges et intelligence artificielle permettent aujourd’hui de suivre les émissions de carbone ou la prolifération industrielle. Ce glissement vers une surveillance globale illustre l’évolution du renseignement, désormais présent jusque dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Comprendre la guerre invisible
Dans un monde traversé par les crises, Fuligni défend une thèse forte : la guerre de l’information précède désormais les conflits armés. « La bataille se joue dans la perception, dans la cognition, dans la fabrique du jugement », affirme-t-il. Pour lui, la “troisième guerre mondiale” a déjà commencé, menée sur les terrains du droit, de la communication et de la technologie.
L’Atlas secret du renseignement ne se contente pas de décrire. Il éclaire les logiques qui gouvernent la planète sécurité. À travers ses cartes, Fuligni montre que le renseignement n’est plus un outil d’exception, mais une composante centrale du pouvoir moderne. Un livre aussi instructif qu’inquiétant, qui donne à voir le monde non pas tel qu’il se montre, mais tel qu’il se cache.
L’Atlas secret du renseignement – édition Gründ – 35 euros


