Les sirènes hurlent à travers la nuit, les gyrophares inondent la rue de lumière bleue, les pompiers s’affairent dans un ballet ininterrompu. C’est par cette scène de chaos que s’ouvre Des Vivants. D’emblée, Jean-Xavier de Lestrade plante le décor : la panique, la sidération, la confusion de la nuit du 13 novembre 2015. À l’intérieur du Bataclan, un groupe de spectateurs s’est réfugié dans un couloir. Ils y resteront enfermés deux heures trente, à quelques mètres des terroristes, avant l’assaut de la BRI. Ce sont ces survivants, les « Potages », contraction de « potes » et « otages », que la série suit pendant près de dix ans, jusqu’au procès de 2022
Jean-Xavier de Lestrade, oscarisé pour Un coupable idéal, signe ici l’une de ses œuvres les plus sensibles. Il raconte moins le 13 novembre 2015 que ce qui l’a suivi : le choc, les cauchemars, les années où la peur s’invite au moindre bruit. Dix ans après les attentats, il choisit la fiction pour dire ce que les procès et les commémorations ne suffisent plus à exprimer.
L’humanité plutôt que le spectacle
Rien, ici, du spectaculaire ni du reconstitutionnel. Jean-Xavier de Lestrade refuse le grand fracas de la tragédie pour filmer ce qui vient après : les gestes, les silences, les visages de ceux qu’on appelle désormais les « potages », sept otages du Bataclan restés enfermés plus de deux heures dans un couloir avant d’être libérés par la BRI.
Le cinéaste et son co-scénariste Antoine Lacomblez ont recueilli des heures de témoignages : des otages, de leurs proches, des policiers, des psychologues. « Notre seule matière, c’était leurs mots », rappelait le duo. Cette fidélité absolue donne au récit une tonalité singulière, à la fois étouffante et bouleversante : rien n’est inventé, tout est ressenti.
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Tournée dans les lieux mêmes du drame, le Bataclan, la salle du procès, la série s’interdit pourtant tout voyeurisme. Le huis clos du couloir a été reconstitué à l’identique en studio, dans une lumière presque grise, où la caméra saisit la respiration plutôt que l’action. Le résultat, sobre et précis, s’inscrit dans la continuité du travail du réalisateur : explorer la part invisible du réel, celle que les images d’actualité ne montrent pas.
Une émotion sans pathos
Lestrade n’a jamais filmé les victimes comme des héros, mais comme des êtres humains complexes. Des vivants ne raconte pas la survie, mais la reconstruction : l’après, les années de dépression, la peur, la solidarité. « Il ne voulait pas qu’on rencontre les vrais otages avant le tournage », explique Alix Poisson, qui incarne Marie, mère de famille revenue travailler dès le lundi suivant l’attentat. Benjamin Lavernhe, Félix Moati, Antoine Reinartz ou Anne Steffens lui donnent la réplique dans un jeu d’une justesse déconcertante, tout en retenue.
La série avance par fragments, mêlant présent et passé, solitude et amitié. Dans leur bistrot habituel, les « potages » se retrouvent, chantent Get Lucky ou Jimmy. Ces moments suspendus, presque banals, valent manifeste : ils disent la possibilité de vivre encore. « Les vertus réparatrices d’une main posée sur un bras, d’une écoute, d’un regard », écrivait Le Figaro.
Le courage du non-dit
Cette œuvre n’a rien du grand récit commémoratif. Elle ne cherche pas à expliquer le terrorisme, mais à mesurer l’onde de choc qu’il laisse dans l’intime. « La fiction met une distance, et alors le spectateur peut se projeter », explique Lestrade. De cette distance naît la pudeur : jamais le cri ne devient spectacle, jamais la douleur n’est utilisée.
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Des vivants est moins une série qu’un compagnonnage, d’une lenteur assumée, jusqu’à ce plan-séquence final de dix minutes, autour d’un barbecue, comme une respiration après l’effroi. Le film ne panse pas les plaies ; il les regarde. Et dans cette attention, dans ce refus de l’effet, réside sans doute ce qu’on peut attendre de plus juste d’une œuvre sur le Bataclan : un silence habité.


