Le titre claque comme un uppercut, à mi-chemin entre un message de caniveau et une affiche de film. T’es une merde, frère : ainsi commence, ou plutôt se résume, la querelle qui oppose depuis des années Jean-Michel Aphatie à Cyril Hanouna. Le journaliste politique a choisi de transformer cette injure, reçue par SMS, en un essai de 300 pages publié chez Robert Laffont, sous-titré Enquête sur celui qui a créé la Trump télé à la française. Une entreprise risquée, à la fois règlement de comptes et tentative de comprendre le phénomène Hanouna.
Mais la charge n’a pas rencontré son public. Tiré à 15 000 exemplaires, l’ouvrage s’est écoulé à peine à 1 600 copies en deux semaines, selon GfK. Sur le plateau de W9, Hanouna s’en est amusé avec la cruauté de celui qui sait qu’il a gagné la bataille de l’audience : « À mon avis, il va s’acheter une maison Playmobil avec les recettes de son livre », a-t-il ironisé. Aphatie, lui, n’a pas répondu. Le silence du polémiste contraste avec le vacarme qu’il dénonce.
La “Trump télé” à la française
Le livre n’est pas qu’un règlement de comptes : c’est aussi un essai sur la mutation du paysage médiatique. Pour Jean-Michel Aphatie, Cyril Hanouna incarne la dérive d’une télévision d’opinion qui a remplacé le débat par le clash. Le journaliste décrit un système où le rire, la provocation et l’humiliation servent de carburant à l’audimat. Une “télé de l’instant”, où tout devient prétexte à indignation.
« Hanouna, c’est un bûcheron dans le lac des cygnes », écrit Aphatie, pour illustrer la brutalité du style face à la finesse supposée du débat public. Derrière la formule, il dresse le portrait d’un homme soutenu par Vincent Bolloré, à la tête d’un empire médiatique où les frontières entre information, spectacle et militantisme se brouillent. Dans cette “Trump télé”, la mise en scène remplace la contradiction, et la caricature se fait politique.
Un vieux duel français
Mais la bataille entre Aphatie et Hanouna dépasse les plateaux télé. Elle rejoue un conflit bien plus ancien : celui du journaliste “classique”, attaché à la rigueur des faits, contre l’homme de spectacle qui revendique le bon sens populaire. L’un incarne une élite médiatique issue des rédactions parisiennes ; l’autre, un autodidacte des banlieues devenu millionnaire en parlant “comme tout le monde”.
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Cette fracture entre deux France – celle des diplômés et celle des auditeurs de talk-shows – explique aussi le succès du “système Hanouna”. En s’érigeant en porte-voix d’un peuple qui se méfie des médias traditionnels, l’animateur a su transformer la télévision en tribune. Et ses outrances, loin de le discréditer, l’ont rendu plus proche d’un public lassé des discours policés.
Le piège du bruit
Jean-Michel Aphatie a beau dénoncer la vulgarité et la violence du PAF, il tombe parfois dans le piège qu’il dénonce. Son écriture, nerveuse et ironique, relève plus du pamphlet que de l’enquête. À force d’analyser la machine Hanouna, il en épouse les codes : formules choc, petites phrases, attaques nominales. Le journaliste d’antan se transforme en bretteur, comme s’il fallait parler fort pour se faire entendre dans un univers saturé de décibels.
Le résultat, c’est un livre à la fois lucide et désespéré. Aphatie n’y croit plus vraiment à la vertu du débat public. Il décrit un pays où l’injure remplace l’argument, où la notoriété vaut raison, où la vulgarité est devenue la langue commune. Il y a chez lui quelque chose du moraliste à l’ancienne, à la fois indigné et résigné.
L’ombre d’un désenchantement
En filigrane, T’es une merde, frère raconte aussi la mélancolie d’un journaliste de la vieille école face à la disparition de son monde. L’époque où les éditorialistes formaient encore l’opinion, où la télévision expliquait avant de divertir. « Le pire des populismes faisait irruption sur la scène publique », écrit Aphatie à propos de l’affaire Lola, dont le traitement par Hanouna aurait déclenché son projet de livre.
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Ce n’est pas seulement Hanouna qu’il attaque, mais une époque entière : celle où l’émotion écrase la raison, où la politique devient une mise en scène. En ce sens, son essai s’inscrit dans une lignée d’ouvrages sur la “fatigue démocratique”, comme ceux de Brice Couturier ou Nicolas Baverez. Mais à la différence de ces essayistes, Aphatie écrit depuis la tranchée : celle d’un plateau télé, au contact direct du bruit.
Un combat perdu d’avance
Le duel entre Aphatie et Hanouna n’aura sans doute pas de vainqueur. L’un défend la parole raisonnée, l’autre revendique le tumulte. Et le public, lui, a déjà tranché : il préfère le vacarme. Le journaliste de Quotidien aura eu le mérite d’écrire un livre de résistance, mais il s’est battu sur un terrain qu’il méprise, celui du buzz.
Dans cette guerre des mots, il apparaît moins en procureur qu’en témoin d’un basculement culturel. Le PAF d’aujourd’hui, comme la politique qu’il imite, adore les excès. Et Jean-Michel Aphatie, en dénonçant cette dérive, en devient presque un personnage malgré lui : celui du dernier homme à croire encore que la télévision peut élever, quand tout le monde la veut seulement divertissante.


