La Collision de Paul Gasnier : littérature du deuil, miroir d’une gauche en crise

Dans son livre sélectionné pour le prix Goncourt, Paul Gasnier raconte la mort de sa mère lors d’un rodéo urbain. Mais au-delà du récit intime, l’ouvrage scrute la manière dont un fait divers peut devenir instrument de récupération politique. En refusant le basculement vers l’extrême droite, le journaliste esquisse une métaphore des impasses actuelles de la gauche française.

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L’auteur et journaliste Paul Gasnier, dont le livre La Collision interroge le lien entre deuil et politique.
L’auteur et journaliste Paul Gasnier, dont le livre La Collision interroge le lien entre deuil et politique. Photo : Francesca Mantovani Gallimard/opale.photo

Dans La Collision (Gallimard), Paul Gasnier, chroniqueur de Quotidien, transforme un drame personnel – la mort de sa mère, fauchée par un jeune délinquant lors d’un rodéo urbain à Lyon – en une méditation collective sur le devenir politique de la France. L’ouvrage, sélectionné pour le prix Goncourt, n’est pas seulement un récit de deuil ; il est une tentative de résistance face à la récupération idéologique d’un « fait divers » que l’extrême droite aurait pu brandir comme étendard.

Car l’auteur le reconnaît lui-même : sa trajectoire intime le destinait à basculer du côté de la colère identitaire. « Comment rester de gauche, alors que la mort de ma mère illustre ce que l’extrême droite dénonce ? », écrit-il. La question est crue, presque insoutenable, mais elle structure tout le livre. À travers cette interrogation, Gasnier met en scène la collision de deux France : celle des héritiers de la Croix-Rousse, métissée, populaire, et celle des classes moyennes progressistes, frappées de plein fouet par une violence qu’elles n’avaient pas anticipée.

On pourrait reprocher au texte son côté programmatique. Gasnier ne raconte pas seulement : il cherche à démontrer. Là où d’autres auraient cultivé l’ambiguïté ou l’épure littéraire, lui assume une thèse, presque militante : le refus du repli, l’obsession d’échapper à la tentation du rejet de l’autre. Ce geste rappelle celui d’Antoine Leiris dans Vous n’aurez pas ma haine, mais teinté ici d’un regard journalistique, sociologique, parfois au détriment de la chair romanesque.

Un livre fragile mais nécessaire

Pourtant, le livre fascine par ce qu’il révèle de notre époque. Gasnier observe que le discours de Zemmour, qu’il a couvert en tant que reporter, semblait donner une « signification politique » à son deuil. D’où son urgence à écrire : arracher son histoire à l’appropriation de l’extrême droite, rendre à l’intime sa complexité. En ce sens, La Collision n’est pas seulement un récit personnel, mais un geste de reconquête symbolique.

La critique, notamment venue de Valeurs Actuelles, lui reproche sa « lâcheté morale » et son refus d’analyser frontalement les questions d’immigration et de choc culturel. Mais c’est peut-être là que se loge sa force : dans cette tension entre lucidité et déni, dans cette incapacité assumée à céder à la simplification. Le livre incarne une fragilité intellectuelle qui est aussi une posture politique : dire non à l’évidence, quand l’évidence mène à la haine.

La métaphore d’une gauche blessée

On peut enfin lire La Collision comme une allégorie de la gauche contemporaine. Blessée, sommée de se justifier, tentée par la radicalisation mais obstinée dans son universalisme, elle se retrouve au bord de l’impuissance. Gasnier, en refusant de se laisser « déposséder » de son histoire, fait œuvre de littérature mais aussi de politique : il illustre, malgré lui, la crise existentielle d’un camp qui cherche encore comment habiter ses valeurs dans un monde où l’intime et le collectif ne cessent de s’entrechoquer.

En refermant le livre, on demeure partagé. Est-ce un grand texte littéraire ? Peut-être pas. Est-ce un document essentiel sur la France de 2025 ? Sans doute. L’élégance du récit importe moins que le vertige qu’il suscite : celui d’un pays qui vacille entre le récit de soi et le récit des autres, entre la douleur vécue et la tentation de l’ériger en bannière politique. La Collision, au fond, c’est la mise à nu d’une démocratie qui se regarde dans le miroir de ses blessures.

La Collision de Paul Gasnier est disponible en librairie, publié chez Gallimard, au prix de 21 euros.

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