Il aura fallu plus de vingt-cinq ans à Laurent Mauvignier pour atteindre le sommet. Mardi 4 novembre, les dix membres du jury de l’Académie Goncourt ont distingué, dès le premier tour, La Maison vide, son dixième roman, publié aux éditions de Minuit. L’auteur de Des hommes et Histoires de la nuit succède à Kamel Daoud et voit son œuvre, longtemps jugée trop exigeante pour les grands prix, enfin couronnée.
L’écrivain de 58 ans, originaire de Tours, reçoit cette récompense pour un livre ample et sensible, qui plonge dans les racines d’une famille tourangelle, à travers le destin de deux femmes, Marie-Ernestine et Marguerite, figures effacées et pourtant centrales d’une lignée marquée par la guerre, les secrets et les silences.
Une maison pour remonter le temps
Tout part d’une demeure abandonnée, redécouverte après vingt ans. Une maison qui, chez Mauvignier, devient métaphore : celle de la mémoire et de l’héritage. « C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure », confiait-il récemment. À partir d’archives incomplètes et de photos mutilées, l’auteur reconstitue un roman d’enquête et d’émotion, où la fiction vient réparer les manques de la réalité.
Dans cette fresque d’un siècle, les guerres mondiales traversent les existences, les femmes affrontent les conventions, et les héritages pèsent de génération en génération. La Maison vide interroge le poids des origines, la transmission de la douleur et ce que l’on tait dans les familles. « Le fardeau des héritages, la tutelle des anciens, les histoires obstinément tues » : autant de thèmes que Mauvignier explore depuis son premier roman, Loin d’eux, publié en 1999.
L’écrivain des âmes silencieuses
Laurent Mauvignier s’est imposé comme une voix singulière dans le paysage littéraire français. Ses romans, souvent ancrés dans les marges sociales et rurales, sondent la parole empêchée, la honte, les blessures invisibles. Il y a chez lui, selon l’écrivain Philippe Claudel, président du jury Goncourt, « une fidélité rare à la langue et à la douleur des humbles ».
Ce Goncourt vient saluer une œuvre patiente et dense. Des hommes (2009), sur les traumatismes de la guerre d’Algérie, avait déjà révélé son talent à tisser la mémoire collective à travers des drames intimes. Histoires de la nuit (2020) prenait des accents de thriller rural pour interroger la peur et la violence au cœur des campagnes françaises. La Maison vide en est l’aboutissement : un roman somme, où son art du flux narratif atteint une ampleur presque musicale.
Le couronnement d’un fidèle de Minuit
Comme Claude Simon, François Bon ou Thomas Bernhard, ses influences revendiquées, Mauvignier est resté fidèle aux Éditions de Minuit, où il publie depuis ses débuts. Cette constance, rare dans un milieu éditorial mouvant, traduit une conception exigeante du roman. « Ce qui compte, ce n’est pas de cibler un sujet, mais d’écrire pour connaître le livre qui veut s’écrire », dit-il dans Quelque chose d’absent qui me tourmente, son livre d’entretiens paru simultanément.
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Le Goncourt, au-delà du prestige, aura un effet concret : un bandeau rouge et une explosion de ventes. Selon Livres Hebdo, les récents lauréats ont parfois dépassé les 500 000 exemplaires. Une aubaine pour les libraires, alors que le marché de l’édition a reculé de 5,7 % en volume en septembre.
Un hommage à la littérature française
Avec La Maison vide, Laurent Mauvignier fait dialoguer les grandes voix du passé – de Flaubert à Duras – et une écriture contemporaine tendue entre lyrisme et pudeur. « Gloire à la fiction », écrivait une critique du Point, soulignant la manière dont l’auteur fait surgir les émotions des silences.
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En recevant son prix au restaurant Drouant, Mauvignier s’est contenté de quelques mots sobres : « Je ne m’attendais pas à ce que ce livre, écrit dans la solitude, trouve un tel écho. Peut-être que le silence, parfois, parle plus fort que le vacarme. »


