Il ne vient pas de l’ENA, n’a jamais siégé dans un parti et n’a pas fait carrière dans les cabinets ministériels. Philippe Royer revendique cette singularité comme son premier argument. Fils d’agriculteurs, devenu dirigeant d’entreprise en Mayenne, il s’est longtemps tenu à distance des circuits parisiens. Son nouveau livre, présenté comme un appel à « remettre du bon sens dans le pays », bouscule délibérément le débat public. Mais au-delà du récit d’un itinéraire personnel, l’ouvrage s’impose comme un texte politique qui ne dit pas encore son nom.
Dans un entretien accordé au Figaro à l’occasion de la sortie de son ouvrage, Royer affirme que « le bon sens paysan peut aujourd’hui guider les esprits et proposer une alternative pour le bien commun ». Le ton est posé, sérieux, presque professoral. Mais derrière la formule, l’objectif est clair : il veut peser dans le débat sur l’avenir de la nation et s’adresser à cette « majorité silencieuse » qui ne se reconnaît plus ni dans la gauche déclassée ni dans la droite fracturée.
Un héritage rural brandi comme méthode
Le livre s’ouvre sur la ferme familiale. Loin du récit nostalgique, Royer en fait le socle d’une philosophie politique. « Dans le monde paysan, on ne peut pas tricher », explique-t-il, revendiquant la rigueur du réel, l’effort et la responsabilité individuelle. L’agriculture devient sous sa plume une matrice de pensée : accepter les cycles longs, affronter les difficultés plutôt que les contourner, préférer l’action à la plainte.
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Cet enracinement affiché séduit, mais peut aussi interroger. Car si le « bon sens » constitue un fil conducteur efficace sur le plan rhétorique, il ne devient un programme crédible que lorsqu’il se traduit en décisions concrètes. Or, sur ce terrain, Royer reste parfois évasif. Il critique la complexité de l’État mais ne détaille pas comment simplifier durablement la machine administrative. Il dénonce l’idéologie du confort, mais ne précise pas quel contrat social nouveau pourrait remplacer l’actuel modèle protecteur.
Travail, mérite, autorité : les piliers d’un projet social-conservateur
Ce que Royer avance avec le plus de clarté, c’est sa vision du travail. « Le travail conduit à la dignité », affirme-t-il dans Le Figaro. Il s’attaque aux « dérives du RSA » et au modèle social français, qu’il considère démobilisateur. L’homme assume un discours de fermeté, qu’il présente comme une exigence de justice. Selon lui, la protection sociale doit redevenir conditionnelle, adossée à l’effort et à la contribution.
Cet appel au redressement moral de la nation s’accompagne d’un plaidoyer pour l’autorité. Dans une interview donné à Ouest-France, il défend « une autorité aimante » et réclame « une pause de l’immigration légale » le temps d’assurer une intégration réelle. Des positions qui l’inscrivent clairement dans le camp conservateur, même s’il refuse de se placer sur le terrain partisan. Il parle souveraineté, transmission, responsabilité, sans jamais utiliser le langage du conflit ni celui de l’affrontement culturel. Son discours évite la démagogie, mais il reste frontal.
Une posture critique face à l’impuissance politique
Philippe Royer construit une critique sévère mais structurée de l’action publique. Il accuse l’État de « produire de la complexité » au lieu de résoudre les problèmes. Il dénonce une technocratie enfermée dans ses procédures. Il réclame des décisions « de terrain » plutôt que des réformes abstraites. La charge n’est pas nouvelle, mais elle s’ancre ici dans une expérience : celle d’un patron habitué à trancher au lieu d’expertiser à l’infini.
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Cette opposition entre action et inertie, entre réalité et théorie, compose la trame d’un discours capable de trouver un écho au-delà de sa base naturelle. Mais elle pose aussi question : peut-on vraiment gouverner un pays de 68 millions d’habitants uniquement avec du « bon sens » ? Comment concilier simplification et complexité du monde contemporain ? Royer assume la radicalité du virage qu’il propose, mais laisse en suspens la faisabilité institutionnelle de son projet.
Un outsider qui rôde autour de la politique
L’auteur répète qu’il n’est pas candidat. Mais sa position intrigue. Il a lancé un mouvement baptisé Redonnons du sens, qu’il finance lui-même. Son livre ressemble à un texte de candidature préparatoire : constat, récit personnel, méthode, orientation politique. « Je le ferai si c’est le seul moyen d’avancer », glisse-t-il à propos d’une éventuelle entrée en politique. Une phrase qui ouvre plus de portes qu’elle n’en ferme.
Peut-il incarner une offre nouvelle ? Son profil rappelle celui des entrepreneurs-candidats, mais il s’en distingue par une dimension morale et presque spirituelle. Il pourrait parler aux milieux économiques, aux ruraux, aux catholiques sociaux et à une partie de la droite modérée. Mais ses adversaires auront beau jeu de pointer le flou de son programme et l’absence de solutions concrètes aux crises énergétique, industrielle ou éducative.
Philippe Royer ne propose pas une rupture spectaculaire. Il trace une ligne, méthodiquement, patiemment. Ni populiste ni technocrate, il veut occuper un espace déserté : celui d’une politique ancrée dans la réalité et portée par une exigence de responsabilité. Peut-être n’est-ce encore qu’un livre. Peut-être est-ce bien plus. Une entrée en scène discrète a souvent toutes les allures d’un prélude.
Fils de paysan, notre bon sens commun aux éditions Fayard, 21,90 euros


