C’est un scénario inédit sous la Ve République. À trois jours de la date butoir, la France n’a toujours pas de chef de gouvernement, et donc aucun projet de loi de finances prêt à être présenté au Parlement. Or, sans budget, l’État se retrouve dans une situation à la fois politique, financière et institutionnelle explosive.
Une obligation constitutionnelle
Selon l’article 47 de la Constitution, le gouvernement doit présenter chaque année un projet de loi de finances avant le premier mardi d’octobre. Le Parlement dispose ensuite de 70 jours pour l’examiner et le voter, afin que le budget entre en vigueur le 1ᵉʳ janvier.
S’il n’y a pas de texte présenté dans les temps, l’Assemblée nationale et le Sénat ne peuvent pas travailler, et l’exécutif ne dispose d’aucune base légale pour engager des dépenses nouvelles.
« Dire que la France n’aurait plus de budget du tout serait faux, mais cela créerait une zone grise extrêmement dangereuse », rappelle Éric Coquerel, président (LFI) de la commission des finances de l’Assemblée, interrogé par Le Monde. En clair : les dépenses indispensables peuvent continuer, mais l’État perd toute capacité d’action politique.
Une continuité assurée, mais sous perfusion
En cas de blocage, le gouvernement peut continuer à faire fonctionner l’administration grâce à la reconduction automatique des crédits de l’année précédente. C’est ce qu’on appelle la gestion “en douzièmes provisoires” : chaque mois, les ministères ne peuvent dépenser qu’un douzième du budget 2025, et uniquement pour les missions déjà votées.
Les salaires des fonctionnaires, les pensions et les prestations sociales continueraient donc d’être versés, mais aucune dépense nouvelle – augmentation d’effectifs, lancement de programme, investissement public – ne serait possible. Une forme de gel budgétaire, qui paralyserait les grands projets et la relance économique.
D’un point de vue politique, ce système traduit une mise sous respiration artificielle de l’État : tout fonctionne, mais plus rien ne bouge.
Un signal désastreux pour les marchés
Sur le plan financier, la situation inquiète déjà les milieux économiques. « L’absence de budget envoie un message de désorganisation et de fragilité institutionnelle », résume un économiste de la Banque de France cité par Reuters.
Depuis la démission du précédent gouvernement, les taux d’intérêt français ont légèrement augmenté, signe de la nervosité des investisseurs.
L’agence de notation Fitch a d’ailleurs averti début octobre que « l’incertitude politique et budgétaire pourrait peser sur la crédibilité financière de la France ».
Une dégradation de la note souveraine ferait grimper le coût de la dette, déjà au plus haut depuis dix ans, à plus de 3 % du PIB en charge d’intérêts annuels.
Une crise institutionnelle inédite
En l’absence de Premier ministre et donc d’un gouvernement pleinement opérationnel, aucune loi de finances ne peut être déposée. Le président de la République se retrouve face à une impasse : soit nommer en urgence un chef de gouvernement capable de défendre un texte, soit laisser courir le vide institutionnel, au risque de voir l’État fonctionner en roue libre.
À LIRE AUSSI : Sébastien Lecornu, le “moine soldat” de la Macronie
La Constitution ne prévoit pas explicitement un cas où le budget n’est pas présenté du tout. Mais dans la pratique, le Conseil constitutionnel et le ministère des Finances pourraient activer une procédure d’exception, en autorisant Bercy à exécuter les dépenses courantes le temps qu’un gouvernement soit formé.
Une telle situation entamerait gravement la crédibilité de la France sur la scène européenne, où les règles budgétaires imposent à chaque État membre de présenter son projet avant la mi-octobre à Bruxelles. Sans cela, Paris serait en infraction vis-à-vis de la Commission européenne.
L’ombre du 49.3
Même si un gouvernement voyait le jour à temps, son budget n’aurait que très peu de chances d’être voté. Depuis la dissolution, aucune majorité claire ne s’est dégagée à l’Assemblée. Le recours à l’article 49.3, qui permet d’adopter un texte sans vote sauf motion de censure, serait quasi inévitable – mais politiquement explosif.
À LIRE AUSSI : Crise politique : Emmanuel Macron cherche un Premier ministre pour sauver la majorité
En 2023 et 2024 déjà, le budget avait été adopté de force, alimentant la colère des oppositions. En 2025, sans majorité et sans Premier ministre, le 49.3 ne serait même pas utilisable : il faut un gouvernement pour engager sa responsabilité.
Un vide à haut risque
En résumé, si le gouvernement ne présente pas de budget lundi, la France entrerait dans une zone de non-droit budgétaire. Les dépenses essentielles seraient assurées, mais tout le reste serait suspendu. L’image internationale du pays serait affaiblie, et sa stabilité financière menacée.
Le pays continuerait à tourner, mais sans direction politique claire ni vision économique. Une situation qui, à défaut de provoquer un “shutdown” comme aux États-Unis, illustrerait la lente asphyxie d’un État en crise, incapable de se gouverner lui-même.