De Hanoï à Singapour, le président français entame une tournée stratégique d’une semaine pour tenter d’imposer une voix européenne entre les ambitions américaines et l’influence chinoise.
Emmanuel Macron a atterri dimanche soir à Hanoï pour ce qui s’annonce comme un exercice d’équilibriste diplomatique : une tournée express en Asie du Sud-Est, qui le mènera successivement au Vietnam, en Indonésie et à Singapour. Objectif affiché : faire entendre une « voie française » dans un contexte géopolitique bouleversé, entre la politique commerciale agressive de Donald Trump et la puissance grandissante de la Chine.
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« La France est une puissance de paix et d’équilibre », a déclaré le président sur le réseau X à son arrivée, martelant son ambition de bâtir des ponts là où d’autres érigent des murs. Derrière cette formule, une stratégie indopacifique initiée dès 2018 et que l’Élysée cherche désormais à incarner concrètement, alors que la région devient le nouveau centre de gravité économique et stratégique du globe.
Une brèche ouverte par Trump
L’Asie du Sud-Est est aujourd’hui secouée par le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, qui a relancé début avril une guerre commerciale à coups de droits de douane contre les exportations asiatiques. Le Vietnam, première étape de la tournée présidentielle, a été particulièrement visé, accusé par Washington de servir de relais aux exportations chinoises.
Dans ce contexte, Paris entend se poser en alternative crédible. « Tous ces pays savent que c’est dans un cadre normé qu’ils peuvent prospérer », explique un conseiller présidentiel. Une trentaine d’accords sont attendus au Vietnam, dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures ou encore de l’éducation. En ligne de mire : le colossal projet de TGV entre Hanoï et Hô Chi Minh-Ville, estimé à 67 milliards de dollars, que convoitent aussi la Chine et le Japon.
Le Vietnam, entre mémoire et business
Cette visite est la première d’un président français au Vietnam depuis François Hollande en 2016. Elle prend place dans un contexte de rapprochement, après la signature à Paris en octobre dernier d’un « partenariat stratégique global » avec le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Tô Lâm.
Les ambitions françaises restent cependant modestes : la France ne représente encore que 0,5 % des parts de marché au Vietnam, très loin derrière les géants asiatiques. Mais le pays, en quête de diversification face à Pékin et Washington, semble prêt à explorer de nouvelles alliances. « Le Vietnam ne veut pas choisir un camp », résume Khang Vu, chercheur au Boston College. « Il cherche à multiplier les partenariats pour éviter l’étau sino-américain. »
Défense et influence : cap sur l’Indonésie
À Jakarta, Emmanuel Macron enchaînera dès mercredi avec une visite d’État axée sur la défense. L’Indonésie a déjà commandé 42 Rafale et deux sous-marins Scorpène à la France. Le président Prabowo Subianto, nouveau chef d’État, entend renforcer cette coopération, dans la droite ligne d’une tradition indonésienne de non-alignement vieille de la conférence de Bandung.
La France espère capitaliser sur cet élan pour faire valoir son industrie nucléaire civile, alors que l’Indonésie s’intéresse aux technologies françaises en matière de transition énergétique.
Singapour, vitrine régionale et test diplomatique
C’est à Singapour que le chef de l’État prononcera vendredi un discours d’ouverture au Shangri-La Dialogue, principal forum de sécurité de la région, auquel la Chine pourrait ne pas participer. Une première pour un dirigeant européen. Une manière pour la France de rappeler qu’elle est aussi une puissance indo-pacifique, forte d’une présence militaire dans la zone et de 1,6 million de ressortissants.
Mais cette tournée se joue aussi sous la menace de crises plus proches : la guerre en Ukraine, les tensions à Gaza et la fragilité d’un engagement européen dispersé. À Jakarta, où il rencontrera des étudiants du plus grand pays musulman du monde, Emmanuel Macron tentera d’éteindre les accusations de « double standard » adressées aux chancelleries occidentales.
Une ambition confrontée au réel
Dans les coulisses, les observateurs s’accordent : cette offensive diplomatique vise autant à décrocher des contrats qu’à maintenir un rang. « La France n’impressionne personne avec ses 7 500 hommes déployés dans la région », note Benjamin Blandin, du Korea Institute of Maritime Strategy. « Mais elle a su nouer des partenariats solides avec plusieurs capitales asiatiques. »