À l’aube du mardi 28 octobre, des colonnes de véhicules blindés ont pénétré dans les complexes d’Alemão et de Penha, deux fiefs du narcotrafic carioca. L’objectif affiché : exécuter des mandats d’arrêt contre les chefs du Comando Vermelho, accusés d’avoir attaqué des commissariats et incendié des bus ces dernières semaines. Rapidement, la situation a dégénéré en bataille rangée. Les échanges de tirs, nourris et incessants, ont pris au piège des centaines d’habitants terrés dans leurs maisons. « On ne pouvait pas sortir, les balles traversaient les murs », raconte une résidente du quartier de la Penha.
Selon les autorités locales, les policiers ont fait face à une résistance d’une ampleur inédite : fusils d’assaut, grenades et drones armés auraient été utilisés par les trafiquants. Le bilan officiel, déjà révisé à plusieurs reprises, s’établit désormais à 121 morts, dont quatre policiers, mais le Défenseur public de Rio parle de 132 victimes. Plusieurs corps n’ont toujours pas été identifiés. Le ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski, a reconnu un « bilan humain tragique » et réclamé une enquête complète sur les circonstances de l’opération.
Un « massacre d’État »
Le gouverneur de l’État de Rio, Cláudio Castro, a salué « une opération historique contre le narcoterrorisme », assurant que les forces de l’ordre avaient « neutralisé plusieurs chefs du crime organisé ». D’après le gouvernement de l’État, 118 armes automatiques ont été saisies, plus d’une tonne de stupéfiants confisquée et 113 suspects interpellés. « Nous avons frappé au cœur du trafic », a déclaré le gouverneur. Mais dans les favelas, les témoignages dressent un tout autre tableau : habitants blessés, maisons criblées de balles et corps abandonnés sur la chaussée.
« Ils tiraient sur tout ce qui bougeait », accuse Maria das Dores, mère d’un adolescent disparu. Plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des hélicoptères ouvrant le feu sur des zones habitées. Le Défenseur public de l’État dénonce des « exécutions extrajudiciaires » et exige la suspension des survols armés. Amnesty International évoque un « massacre d’État », tandis que Human Rights Watch souligne une « violation flagrante du droit à la vie ». Les hôpitaux de la capitale sont saturés : plus de 80 blessés graves, dont des enfants, ont été pris en charge.
Les morgues débordent, au point que plusieurs corps ont été transférés dans des villes voisines. Des familles se pressent devant les portes des instituts médico-légaux, certaines depuis trois jours, sans nouvelles de leurs proches. Dans les ruelles de la Penha, l’odeur de poudre se mêle à celle des bougies allumées en hommage aux victimes. « Ce n’est pas une guerre contre la drogue, c’est une guerre contre les pauvres », souffle un habitant.
Une crise politique majeure pour le gouvernement Lula
À Brasilia, la polémique prend une ampleur nationale. Le président Luiz Inácio Lula da Silva a convoqué son ministre de la Justice et exigé un rapport complet sur l’opération. « Le Brésil ne peut pas combattre le crime par la barbarie », a-t-il déclaré, tout en promettant des sanctions en cas de bavures avérées. Le gouvernement fédéral envisage de créer une commission d’enquête pour déterminer les responsabilités et encadrer les futures interventions dans les favelas.
La droite brésilienne, au contraire, applaudit l’action du gouverneur Castro, estimant qu’elle démontre la « volonté de reconquérir les territoires perdus ». Mais la gauche dénonce une « logique de guerre » inefficace et inhumaine. « Chaque opération de ce type creuse un peu plus le fossé entre l’État et les habitants », observe le sociologue Ignacio Cano, spécialiste des violences urbaines. Les Nations unies ont demandé des explications, tandis que les images du raid font la une de la presse mondiale.
Cette opération, baptisée « Contenção », relance le débat sur la stratégie sécuritaire du Brésil. En 2024, plus de 1 200 personnes ont été tuées lors d’interventions policières dans l’État de Rio. Malgré les promesses de réforme, les méthodes n’ont guère changé : recours massif à la force, absence de distinction entre suspects et civils, et impunité quasi totale. À Rio, les familles des victimes prévoient une marche silencieuse ce week-end sur la plage de Copacabana. Leur mot d’ordre : « Pas de guerre dans nos quartiers. »


