Depuis plusieurs mois, la question de l’école revient au cœur du débat politique. Après les polémiques sur l’uniforme, les cours de morale républicaine ou la laïcité à l’école, voilà que s’invite un sujet plus tabou : celui du fossé grandissant entre l’enseignement public et le privé sous contrat. Dans son livre Public ou privé ? Quelle école choisir pour nos enfants (Fayard), Hélène Haus dissèque sans militantisme les ressorts de cette fracture. Une enquête de terrain où se croisent enseignants, parents et élèves, et où affleure une idée simple : la République n’a jamais autant parlé d’égalité qu’au moment où elle laissait la mixité s’effondrer.
Car derrière la statistique (près d’un élève sur cinq est désormais scolarisé dans le privé) se cache une réalité sociale : les classes moyennes et supérieures désertent les établissements publics dans les zones populaires. « Ce n’est pas une fuite, c’est une protection », confie un parent d’élève à l’autrice, décrivant un système où chacun cherche avant tout à préserver les chances de ses enfants. Une logique qui, selon elle, creuse le fossé entre ceux qui peuvent choisir et ceux qui subissent.
Un débat qui dépasse les salles de classe
La publication du livre intervient dans un contexte où l’école concentre les tensions politiques et culturelles. La réforme du collège annoncée par le ministre de l’Éducation nationale, les débats sur la revalorisation du métier d’enseignant ou encore la hausse du financement du privé par l’État alimentent les clivages. Les chiffres donnent la mesure du phénomène : 76 % du budget des établissements sous contrat provient de fonds publics, sans obligation de mixité sociale.
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Dans le même temps, le gouvernement tente de restaurer l’autorité à l’école, multipliant les annonces symboliques. Mais comme le souligne Hélène Haus, l’essentiel se joue ailleurs : dans la répartition des élèves, et donc des chances. « Tant que la carte scolaire restera contournable, la mixité restera un vœu pieux », écrit-elle. Son enquête pointe les paradoxes d’une France qui se veut universaliste tout en acceptant une ségrégation silencieuse, où les quartiers comme les écoles se ferment les uns aux autres.
L’écho d’une vieille chanson
En filigrane, le livre résonne étrangement avec la chanson de Michel Sardou Les deux écoles, écrite en 1984. Le chanteur y racontait déjà le face-à-face entre deux mondes : celui du public et celui du privé, entre le fils de prolo et celui du notable, entre blouse grise et uniforme impeccable. Quarante ans plus tard, rien n’a changé, sinon que le choix n’oppose plus deux idéologies, mais deux anxiétés : la peur du nivellement d’un côté, celle du déclassement de l’autre.
Hélène Haus ne tombe ni dans la nostalgie ni dans la dénonciation. Elle observe comment l’école est devenue le terrain de toutes les contradictions françaises : attachement aux principes républicains, mais individualisme croissant ; exigence de performance, mais épuisement du corps enseignant. En ce sens, Public ou privé ? dépasse le débat scolaire pour dire quelque chose de notre époque : une société fracturée où chacun cherche à sauver sa place, parfois au détriment du collectif.
Le courage politique en question
L’ouvrage s’inscrit aussi dans une actualité brûlante : celle du financement du privé, que plusieurs élus de gauche veulent désormais conditionner à des critères sociaux. L’idée, défendue par certains économistes de l’éducation, consisterait à imposer aux écoles sous contrat une part minimale d’élèves issus de milieux défavorisés, à l’image des quotas de logements sociaux. Mais le sujet divise jusque dans les rangs de la majorité : faut-il contraindre ou inciter ?
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« Le privé n’est pas le problème, il est le symptôme », écrit Hélène Haus. Symbole d’un État affaibli, soupçonné de ne plus tenir ses promesses, il reflète le désenchantement d’une partie des classes moyennes envers le service public. Pour l’autrice, seule une politique éducative assumée, exigeante, lisible et courageuse, permettra de recréer un sentiment d’unité.
Une école qui dit tout de la France
De Marseille à Aubervilliers, de Nantes à Versailles, la journaliste a rencontré des enseignants qui se battent pour maintenir le cap, souvent avec des moyens dérisoires. Certains collèges publics regagnent la confiance des familles grâce à des projets ambitieux : ouverture culturelle, sport de haut niveau, options artistiques. Mais ces réussites demeurent fragiles et locales.
Au fond, Public ou privé ? pose une question simple, presque politique : que reste-t-il du bien commun dans une société où chacun fait sécession ? Hélène Haus ne distribue pas les bons points. Elle décrit avec précision la mécanique du renoncement collectif, où la défense de l’école publique ne mobilise plus que ceux qui n’ont pas d’autre choix. Une France des « deux écoles », comme disait Sardou, qui continue d’exister, non plus entre riches et pauvres, mais entre ceux qui croient encore à la promesse républicaine… et ceux qui s’en sont détournés.


