Philippe de Villiers a fait une entrée remarquée dans le débat politique de la rentrée. En lançant une pétition en ligne baptisée « Sauvons la France », il affirme avoir mobilisé 1,3 million de Français en quelques jours pour exiger un référendum sur l’immigration. Relayée en boucle par les médias du groupe Bolloré, cette démonstration de force a marqué les esprits. Mais derrière le chiffre impressionnant se cache un dispositif aux contours très flous.
La plateforme referendum-immigration.com, spécialement créée pour l’occasion, permet de signer sans aucune vérification. Ni numéro d’électeur, ni pièce d’identité ne sont demandés. Plusieurs journalistes ont pu s’inscrire sous des pseudonymes fantaisistes, parfois à plusieurs reprises. « Pierre Paul Jacques », « Mickey Mouse » ou « Test Test » figurent parmi les signataires visibles. Loin de constituer un outil démocratique transparent, cette pétition immigration repose sur une mécanique fragile et manipulable à l’envi.
Une mobilisation gonflée par les médias du groupe Bolloré
Malgré ces failles, l’opération a rencontré un large écho médiatique. En quelques jours, CNews, Europe 1 ou encore le JDD ont repris sans nuance le chiffre du « million de signatures ». Ce succès apparent a permis à Philippe de Villiers de repositionner son image de tribun souverainiste et de préparer la sortie de son livre Populicide, centré sur la dénonciation de l’immigration et de l’effacement des racines chrétiennes de la France.
Dans les plateaux du groupe Bolloré, la pétition est présentée comme une preuve de l’adhésion populaire à l’idée d’un référendum sur l’immigration. Pourtant, aucune comparaison sérieuse n’est possible avec des initiatives officielles. Lorsqu’une pétition est déposée sur la plateforme de l’Assemblée nationale, les signataires doivent justifier de leur identité et respecter des critères stricts. La pétition Philippe de Villiers, elle, n’offre aucune garantie de fiabilité.
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Cette différence n’empêche pas ses promoteurs d’utiliser le chiffre comme un argument politique. Dans l’imaginaire collectif, l’annonce d’un million de soutiens pèse davantage que les explications techniques sur l’absence de contrôle. Et pour l’ancien président du Puy du Fou, l’essentiel est atteint : revenir au centre de l’agenda médiatique en se posant en porte-parole d’une France inquiète face à l’immigration.
Derrière la pétition, une collecte massive de données
Un autre aspect interroge. Chaque signature entraîne la transmission de l’adresse mail à Lagardère Media News, maison-mère du JDD et de JDNews, filiale de l’empire Bolloré. En réalité, ce qui apparaît comme un acte militant se transforme en outil de prospection politique et commerciale.
L’opération permet de constituer une gigantesque base de données, réutilisable pour diffuser des newsletters, des appels à dons ou des messages politiques ciblés. L’internaute qui croit signer pour le référendum immigration devient ainsi un prospect intégré à l’écosystème médiatique de Bolloré. Cette pratique, légale mais peu transparente, révèle une instrumentalisation des outils numériques à des fins de communication.
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Les observateurs notent que cette mécanique s’inspire de méthodes déjà utilisées par certaines formations politiques américaines, où les pétitions servent autant à mesurer l’adhésion qu’à enrichir des bases de contacts. Dans le cas de Philippe de Villiers, elle ajoute une dimension stratégique à une démarche présentée comme spontanée et citoyenne.
Un instrument politique plus qu’un outil démocratique
La polémique sur la pétition Philippe de Villiers illustre un glissement du débat public vers des logiques de communication immédiate. En surfant sur la demande d’un référendum immigration, l’ancien eurodéputé impose ses thèmes et occupe le terrain médiatique, peu importe la fiabilité réelle des chiffres avancés.
Pour ses soutiens, le chiffre du million reste un symbole, preuve que la gauche française et le gouvernement sous-estiment la colère des électeurs. Pour ses détracteurs, il s’agit au contraire d’une arnaque pétitionnaire, un gonflage artificiel utilisé comme arme politique. Dans les deux cas, l’effet est là : la polémique occupe l’espace, fragilise la parole officielle et crédibilise l’idée que l’immigration est devenue la priorité des Français.
Cette affaire soulève aussi une interrogation plus large : jusqu’où peut aller l’utilisation de pétitions non vérifiées dans le jeu politique français ? En l’absence de règles claires, ces instruments risquent de se multiplier, au risque de brouiller encore davantage le débat démocratique.