La bataille budgétaire s’est encore resserrée autour du portefeuille des retraités. Jeudi, l’Assemblée nationale a massivement rejeté l’article 6 du projet de loi de finances, qui prévoyait de remplacer l’abattement de 10 % sur les pensions par un montant fixe de 2 000 euros pour une personne seule et de 4 000 euros pour un couple. La manœuvre, inspirée par François Bayrou et défendue par Amélie de Montchalin, devait moderniser un dispositif créé en 1979 et plafonné aujourd’hui à 4 399 euros par foyer fiscal.
Le vote a été sans appel : 213 voix contre 233 exprimées. Tous les groupes ont rejeté la réforme, à l’exception d’Horizons, tandis que les macronistes se sont divisés. La suppression de l’article était déjà intervenue en commission des finances fin octobre, mais l’exécutif espérait rallier une partie de la droite en séance. Il n’en a rien été.
Un mécanisme jugé « anti-progressif », mais politiquement explosif
Pour le gouvernement, l’abattement actuel pénalise les retraités modestes et avantage les pensions élevées. « Aujourd’hui, l’abattement est anti-progressif. Plus vous avez de revenus, plus vous en bénéficiez », plaidait Amélie de Montchalin. Le forfait devait, selon elle, renforcer l’équité : seuls les 50 % de retraités imposables auraient été concernés, et une partie d’entre eux gagnants.
Les chiffres transmis par le rapporteur général Philippe Juvin ont toutefois sapé l’argumentaire. Selon ses simulations, 39 % des retraités auraient vu leur impôt augmenter d’environ 212 euros par an en moyenne, tandis que seulement 12 % auraient été gagnants, avec un gain moyen de 139 euros. Et ces gains auraient été fragiles : en relevant artificiellement le revenu imposable, le forfait aurait fait perdre à certains l’accès à des prestations conditionnées, notamment les aides au logement.
L’idée d’un prélèvement supplémentaire a suffi à fédérer un front commun. « Il n’est pas question de racketter nos retraités », a lancé le député UDR Eric Michoux, tandis que la gauche dénonçait « une mesure pénalisant tous les retraités au-dessus de 1 666 euros ». Plusieurs syndicats, dont l’UNSA Retraités, alertaient depuis des semaines sur une hausse d’impôt pouvant atteindre 10 à 19 % selon les pensions.
Un milliard d’euros de recettes qui disparaît du budget 2026
Au-delà de l’équité, c’est l’impact budgétaire qui inquiète Bercy. La transformation de l’abattement devait rapporter entre 800 millions et un milliard d’euros dès 2026. Le gouvernement comptait sur cette mesure pour équilibrer un budget fragilisé par la suspension de la réforme de 2023 (400 millions d’euros) et par le rétablissement voté mercredi de l’indexation des retraites sur l’inflation, qui efface 2,6 milliards d’euros de recettes attendues.
À LIRE AUSSI : Sébastien Lecornu, le “moine soldat” de la Macronie
En deux jours, plus de 4 milliards d’euros d’économies ciblant les retraités se sont ainsi volatilisés. Pour l’exécutif, déjà contraint par une croissance ralentie et un déficit social attendu en hausse, l’équation se complique. La majorité reconnaît qu’il faudra désormais trouver d’autres leviers : niches fiscales, dépenses structurelles ou économies dans les politiques publiques.
Une majorité fragilisée et un espace politique saturé
La séquence révèle surtout l’isolement croissant de la majorité présidentielle. La droite refuse toute hausse d’impôt, la gauche tout effort supplémentaire sur les retraités, et le RN capitalise sur un discours protecteur vis-à-vis des pensions. Le gouvernement se retrouve privé d’un espace politique pour porter des mesures de rendement, alors que les marges de manœuvre du budget 2026 se réduisent.
À LIRE AUSSI : Comprendre la taxe Zucman en 3 minutes
Le texte va désormais poursuivre son examen au Sénat. Mais la décision prise jeudi verrouille de fait le sort de la réforme : sans consensus parlementaire, le forfait de 2 000 euros ne reviendra probablement pas. L’exécutif devra, une nouvelle fois, composer sans les recettes espérées d’un électorat devenu l’un des plus sensibles du paysage politique.


