Le message est tombé dans la nuit, à 2 heures du matin. Un e-mail laconique, sans objet ni précision, envoyé par l’Élysée aux dirigeants de partis politiques : rendez-vous à 14h30 au palais présidentiel. À cette heure, la plupart dorment. D’autres, réveillés par des journalistes, découvrent incrédules l’invitation. Emmanuel Macron avait promis de nommer un Premier ministre avant la fin de la journée de vendredi. Le compte à rebours commence — sans que personne ne sache vraiment ce qui se trame.
Les invités se succèdent au perron de l’Élysée. Gabriel Attal, Edouard Philippe, Olivier Faure, Fabien Roussel, Marine Tondelier… Seize responsables au total. Ni le Rassemblement national, ni La France insoumise, écartés du rendez-vous pour avoir réclamé la dissolution, ne figurent sur la liste. Au Sénat, Gérard Larcher grince : les présidents de groupes parlementaires de la chambre haute ne sont pas conviés, malgré leur rôle central dans l’examen du budget.
Une matinée de spéculations
Dans les couloirs du pouvoir, les téléphones s’affolent. La rumeur d’une reconduction de Sébastien Lecornu enfle. Fidèle parmi les fidèles, il reste, pour beaucoup, la solution de repli du président. Mais les critiques fusent, jusque dans la majorité. « Ce serait un très mauvais signal », juge le centriste Hervé Marseille. « On ne peut pas donner l’impression de s’acharner à tout contrôler », prévient Gabriel Attal. D’autres noms circulent, de Bernard Cazeneuve à Jean-Louis Borloo, en passant par Pierre Moscovici. Autant d’hypothèses qui s’éloignent à mesure que l’Élysée entretient le mystère.
La journée prend des airs de théâtre d’attente. Les ministres démissionnaires rangent leurs cartons, les conseillers scrutent leur téléphone, les journalistes guettent la moindre fumée blanche. Le palais présidentiel, lui, fait savoir que cette réunion « doit être un moment de responsabilité collective ». Une manière de rappeler que la menace d’une nouvelle dissolution plane toujours.
Les absents et les spectateurs
Pendant que l’exécutif joue la montre, les oppositions campent sur leurs positions. Marine Le Pen parade au congrès des pompiers, au Mans, sourire aux lèvres. « Nous, c’est avec les Français que nous avons rendez-vous », glisse-t-elle. Manuel Bompard, coordinateur de LFI, résume l’humeur du jour : « La sieste. » Un désintérêt qui en dit long sur la lassitude d’une classe politique épuisée par six mois de crise ininterrompue.
À l’Assemblée, les socialistes et les écologistes, eux, attendent des signaux. Olivier Faure assure qu’il n’y a « aucune garantie de non-censure ». Marine Tondelier, en sortie de réunion, confiera plus tard : « Plus le président est seul, plus il se rigidifie. »
À huis clos, une réunion sans issue
Lorsque les portes de l’Élysée se referment, les téléphones sont confisqués. Emmanuel Macron écoute, prend des notes, mais ne dit rien. Deux heures et demie de discussions, de piques et d’improvisation. Aucun nom ne sort. « Il ne nous a rien dit », peste Boris Vallaud à la sortie. « C’était lunaire. On assistait aux disputes du socle présidentiel en direct », raconte un participant.
À la nuit tombée, les invités repartent, les journalistes restent plantés devant le perron. À 22 heures, la nouvelle finit par tomber : Sébastien Lecornu est reconduit à Matignon. Quatre jours après sa démission, il devient le Premier ministre le plus éphémère… et le plus tenace de la Ve République.
Le jour où rien n’a vraiment changé
Cette journée de tension, d’attente et de faux suspense aura laissé une impression de déjà-vu. La crise politique n’est pas résolue, les équilibres n’ont pas bougé. Emmanuel Macron a choisi de s’en remettre à son fidèle moine soldat, au risque d’apparaître isolé.
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Dans les couloirs de l’Assemblée, un député ironise : « On a vécu un jour sans fin. » À l’Élysée, un conseiller soupire : « Ce n’était pas une réunion, c’était une thérapie de groupe. »
Et le pays, lui, attend toujours un gouvernement.


