30 ans de réclusion : Aa procès Jubillar, un verdict sans aveux au terme d’un mois d’audience

Condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa femme Delphine, disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, Cédric Jubillar a quitté la cour d’assises d’Albi sans avoir livré la moindre explication. Récit d’un procès où l’intime conviction a pesé plus lourd que les preuves.

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Delphine et Cédric Jubillar le jour de leur mariage, avant la disparition de l’infirmière du Tarn.
Delphine et Cédric Jubillar le jour de leur mariage, avant la disparition de l’infirmière du Tarn.

Dans le box vitré du palais de justice d’Albi, son visage n’a presque jamais changé. Pendant quatre semaines d’audience, Cédric Jubillar, 38 ans, a répondu aux interrogations de la cour avec une économie de mots qui a fini par constituer sa signature. « Oui », « non », « je sais pas » et une avalanche de « tout à fait » ont rythmé ses réponses, comme un mécanisme de défense plus qu’un récit. Jamais il n’a varié. « Je n’ai pas tué Delphine, c’est une certitude », a répété l’accusé en ouverture du procès, avant de prononcer la même phrase pour ses derniers mots. Cette constance, devenue rigidité, n’a pas suffi à convaincre les jurés.

Dès les premiers jours, le contraste entre la neutralité apparente de l’accusé et l’ampleur du dossier a frappé. La présidente Hélène Ratinaud l’interrogeait sur sa femme ; il répondait sans colère, sans émotion, presque sans intérêt. À la barre, un expert psychologue a résumé ce que chacun observait : « Il bétonne, ne laisse pas prise à la surprise. Il n’est ni déstabilisé ni déstabilisable. » Ses gestes nerveux – une jambe qui tressaute, une main qui s’agrippe à la bouteille d’eau, trahissaient pourtant une tension intérieure que son discours, lui, refusait d’admettre.

Dans les rangs du public, la famille de Delphine a écouté sans un mot, sans un mouvement, avec cette froideur de ceux qui vivent depuis quatre ans dans un manque sans remède. La victime, elle, n’est jamais apparue autrement que par des photographies et quelques messages lus à la barre. Son corps n’a jamais été retrouvé. Aucun lieu, aucune arme n’a émergé de l’enquête. C’est un procès sans scène de crime, un jugement prononcé sur une absence.

Le procès de l’enquête

Face à un dossier dépourvu de preuve directe, la défense a choisi le terrain du doute. Mes Emmanuelle Franck et Alexandre Martin ont livré un travail chirurgical destiné à fissurer chaque certitude de l’accusation. « Vous êtes le péché originel de ce dossier », a lancé Me Martin à Dominique Alzéari, procureur de Toulouse au moment des faits, dont certaines déclarations publiques avaient selon lui « crucifié » son client. L’audience s’est alors transformée, par moments, en procès de l’enquête.

Un épisode a marqué les débats. Me Franck révèle soudain que la ligne téléphonique de l’amant de Delphine aurait « déclenché la cellule couvrant le domicile des Jubillar » la nuit des faits. La révélation déclenche la stupeur. Le lendemain, un gendarme spécialiste de la téléphonie concède une « erreur de copier-coller ». Mais l’impact est fait. En justice, le doute n’a pas besoin de durer : il suffit qu’il existe pour s’installer.

Sur le terrain technique, la défense a exploité les angles morts de l’instruction. Pourquoi aucun prélèvement ADN n’a-t-il été réalisé sur un livret de famille retrouvé à Albi plusieurs mois après la disparition de Delphine ? Pourquoi seules 65 personnes, parmi les 288 délinquants sexuels répertoriés dans le secteur, ont-elles été auditionnées ? Pourquoi l’examen de la Peugeot 207 de la victime est-il resté partiel ? Les enquêteurs ont dû répondre, longuement, parfois maladroitement, sous les rafales de questions.

La triste vie d’un couple banal

L’accusation a avancé un mobile : la séparation. « Dans 80 % des cas, c’est dans l’instant ou les trois jours qui suivent une séparation », a plaidé Me Laurent Boguet, avocat des enfants Jubillar. L’idée d’un geste impulsif a été privilégiée à celle d’un crime prémédité. « Il n’y a peut-être pas de corps, mais tout y est. C’est le cas d’école du féminicide », a soutenu Me Pauline Rongier pour les parties civiles. Mais la réalité du couple Jubillar, telle qu’elle est apparue dans le dossier, est celle d’un naufrage banal. Pas de plaintes pour violences conjugales, pas de traces de coups, pas de menaces formelles avant la disparition, sinon cette phrase rapportée par plusieurs témoins : « Si elle a un amant, je lui ferai à l’envers. »

Depuis la mi-2020, Delphine, infirmière de nuit, avait un amant rencontré sur un site. « J’étais heureux d’être avec Delphine et elle aussi avec moi », a raconté Donat-Jean M. à la barre. Les messages entre eux, lus à l’audience, montrent un projet de séparation désormais inévitable. « Le soir du 15 décembre, ils étaient euphoriques », a rappelé l’avocat général Nicolas Ruff. Delphine écrit à son amant à 22 h 55. Puis plus rien.

La thèse du ministère public s’articule ainsi : Jubillar surprend sa femme en train d’échanger avec son amant, il explose, il étrangle. Le fils du couple, Louis, a affirmé avoir entendu « une dispute » ce soir-là. Une voisine dit avoir perçu « des cris continus » autour de 23 heures, « comme une femme qui essayait de reprendre son souffle ». La défense conteste, parle de « reconstruction artificielle », rappelle que rien n’est matériellement prouvé. Mais la mécanique des faits, elle, a convaincu les jurés.

Le poids de l’intime conviction

Dans son réquisitoire, l’avocat général Pierre Aurignac a assumé la logique de l’accusation. « On a beau prendre ce dossier par tous les bouts, on arrive au même résultat : la culpabilité. » Et d’ajouter : « Pour croire à l’innocence de Cédric Jubillar, il faudrait écarter quatre experts, faire taire dix-neuf témoins et tuer le chien pisteur. » La formule, citée en boucle depuis, a pesé lourd dans le procès.

La défense, elle, a tenté un ultime renversement. « Votre devoir est d’acquitter Cédric Jubillar », a affirmé Me Franck dans une plaidoirie tendue. « On ne condamne pas les sales types, on condamne les coupables. » Le duo d’avocats a insisté sur l’impossibilité de juger sans preuve matérielle. « Où est Delphine ? Qui l’a vue morte ? » a interrogé Me Martin, rappelant que le droit pénal français exige la certitude.

Vendredi, après moins de six heures de délibéré, la cour d’assises du Tarn a condamné Cédric Jubillar à trente ans de réclusion criminelle. L’accusé n’a pas bronché. Il a murmuré quelques mots à ses avocats, a ajusté son masque puis a quitté la salle sous escorte. Le mystère, lui, reste entier. Delphine n’a toujours pas de tombe. L’affaire n’a pas livré sa vérité. Elle n’a produit qu’un verdict.

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