La cour d’assises est la seule juridiction qui fait juger un crime par des citoyens. Neuf jurés en première instance, six en appel. Ils ne sont ni magistrats ni spécialistes du droit. Ils sont moldus du Code pénal, profanes de la procédure, souvent intimidés par la solennité de l’audience. Et pourtant, ils ont le pouvoir de déclarer un accusé coupable et de l’envoyer en prison pour vingt ans, trente ans ou la perpétuité. Ce paradoxe nourrit un débat ancien : pourquoi confier une décision aussi grave à des personnes précisément choisies parce qu’elles ne sont pas compétentes à juger?
Le pari démocratique
Le législateur assume ce choix. Depuis la Révolution française, l’idée est la même : la justice criminelle doit être rendue « au nom du peuple français ». Les jurés représentent ce peuple. Ils introduisent dans la justice l’expérience ordinaire, le bon sens, l’œil extérieur. Leur ignorance du droit n’est pas un défaut, mais une garantie. Ils ne sont pas formatés par les automatismes judiciaires. Ils ne reproduisent pas mécaniquement la logique institutionnelle. Ils incarnent la société, avec ses doutes, ses interrogations, sa morale.
Le procès Jubillar a rappelé ce principe. Pendant des semaines, neuf citoyens ont plongé dans une enquête complexe, sans corps, sans aveu et sans scène de crime définie. Ils ont dû digérer des expertises techniques, écouter des spécialistes, supporter les heures d’interrogatoires, les contradictions, les zones d’ombre. Leur mission n’était pas de maîtriser tous les aspects juridiques. Leur mission était de juger en conscience.
L’intime conviction comme boussole
La justice criminelle française repose sur une notion subjective : l’intime conviction. Les jurés n’appliquent pas une grille de preuves codifiée. Ils ne doivent pas prouver mathématiquement la culpabilité. Ils répondent à une question simple : au terme des débats, sont-ils convaincus ou non?
Cette logique choque certains avocats qui y voient un terrain glissant. Sans définition stricte, l’intime conviction peut se fonder sur un ressenti plutôt que sur une analyse structurée des preuves. Mais le Code de procédure pénale fixe des garde-fous : les jurés votent à bulletin secret, le doute doit profiter à l’accusé et les délibérations doivent rester confidentielles pour éviter toute pression. De plus, ils délibèrent avec trois magistrats professionnels, censés apporter la rigueur juridique nécessaire pour encadrer ce processus.
Des citoyens sous pression
Ce modèle n’est pas sans risque. Les jurés découvrent la violence des assises : autopsies, photos de scènes de crime, expertises psychiatriques, témoignages contradictoires. Ils sont confrontés à des stratégies d’influence. À gauche, la rhétorique de la défense. À droite, l’argumentation du parquet. Au centre, la famille de la victime et celle de l’accusé. Ils sentent parfois peser l’opinion publique, particulièrement dans les affaires médiatiques comme celle de Cédric Jubillar.
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L’absence d’expérience judiciaire des jurés peut ouvrir la porte aux biais cognitifs : accorder une importance excessive à un détail, se laisser influencer par l’éloquence d’un avocat, être frappé par un geste, une attitude, un silence. C’est le prix du système. C’est aussi sa limite.
La justice par le peuple, avec ses forces et ses faiblesses
On reproche au jury populaire son imprévisibilité. On lui reproche parfois son émotion, sa morale, ses intuitions. Mais ceux qui veulent le supprimer doivent répondre à une question : qui doit juger un crime? Un collège fermé de magistrats? Ou la société entière, à travers quelques-uns de ses représentants?
La justice française a tranché. Elle préfère une décision rendue par des citoyens ordinaires, guidés par leur conscience, plutôt qu’une vérité judiciaire réservée aux professionnels. Et, au fond, c’est toute la philosophie de la cour d’assises : la justice criminelle n’est pas seulement affaire de droit. Elle est affaire d’humanité.


