Créé en septembre 2024, Bounty se présente comme un forum de discussion gratuit et accessible sans inscription. Son apparence sommaire rappelle les débuts d’Internet : quelques cases à remplir – pseudo, âge, sexe, code postal – suffisent pour créer un compte et entrer dans des salons aux noms évocateurs comme « Gros seins » ou « Bien membrés ». Aucune vérification d’âge n’est exigée, malgré l’étiquette « réservé aux adultes ». Dès les premières minutes, l’utilisateur est confronté à des sollicitations sexuelles crues, des publicités de sexcams en plein écran et des messages à caractère pédocriminel. Le décor rappelle celui de Coco, fermé en juin 2024 après plusieurs affaires de viols, de proxénétisme et de guet-apens homophobes.
Les associations de protection de l’enfance redoutent une mécanique identique à celle qui avait fait de Coco un « repaire de l’horreur ». Les adolescents y devenaient des proies faciles, parfois pris dans des réseaux de chantage ou de prostitution.
La riposte des autorités
Face à cette réapparition, la Haut-commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, a saisi l’Arcom, le régulateur français de l’audiovisuel et du numérique, et transmis un signalement à Pharos, la plateforme nationale de lutte contre la cybercriminalité. « Pas question de laisser ce type de forum renaître », a-t-elle prévenu, rappelant que Coco avait constitué une véritable plaque tournante où s’échangeaient revenge porn et contenus pédopornographiques. La ministre du Numérique, Clara Chappaz, a de son côté assuré que « tous les services compétents » étaient mobilisés et a demandé que l’Arcom travaille en lien avec les signaleurs de confiance pour bloquer au plus vite les plateformes jugées dangereuses.
Un site désormais soumis au droit français
Contrairement à Coco, dont les serveurs étaient hébergés en Bulgarie, Bounty est basé à Lille et dépend directement du droit français. L’Arcom a adressé un courrier au propriétaire le 28 août, réclamant des explications sur la modération et les moyens de lutte contre les sollicitations de mineurs. Le fondateur, qui préfère rester anonyme, affirme avoir déjà répondu et se dit prêt à coopérer « à 100 % » avec les autorités. « Nous n’avons jamais voulu recréer un Coco avec ses dérives », assure-t-il, promettant l’ajout rapide d’un vérificateur d’âge et mettant en avant les signalements déjà transmis à Pharos.
Ses explications ne suffisent pas à rassurer. Pour les spécialistes du numérique, la fermeture d’un site entraîne souvent une migration massive de ses utilisateurs vers d’autres forums. « La nature a horreur du vide », observe l’avocat Alexandre Archambault, qui note que dès la disparition de Coco, plusieurs plateformes similaires ont vu le jour.
Un défi majeur de régulation
La résurgence de Bounty intervient alors que le fondateur de Coco est toujours mis en examen pour proxénétisme aggravé, diffusion d’images pédopornographiques et association de malfaiteurs. Pour les autorités, l’affaire illustre un enjeu plus large : en dix ans, les signalements de contenus pédocriminels ont bondi de 6 000 % à l’échelle mondiale. « Nous ne lâcherons rien. Les pédophiles, on les traquera jusqu’au bout », martèle Sarah El Haïry, qui insiste sur la nécessité de faire d’Internet un espace régi par le droit commun.