Le 19 novembre, devant des lecteurs à Arras, Emmanuel Macron a glissé une phrase qui a immédiatement embrasé le débat public. Évoquant la nécessité de distinguer les plateformes cherchant à monétiser la diffusion de contenus douteux des médias produisant une information vérifiée, le président a défendu l’idée d’«une labellisation faite par des professionnels» de l’information. Une prise de position qui se voulait prudente, accompagnée de cette précision : «Ce n’est pas l’État qui doit vérifier, parce que là, ça devient une dictature.»
Mais l’équilibre recherché n’a pas tenu longtemps. Moins de deux semaines plus tard, la droite dans toutes ses nuances fait feu contre ce qu’elle considère comme une dérive du pouvoir. L’affaire polarise, fédère des oppositions longtemps éclatées et ouvre un nouvel affrontement autour de la liberté d’expression.
Marine Le Pen parle d’«idée extrêmement dangereuse»
La première salve est venue du Rassemblement national. Invitée sur BFMTV, Marine Le Pen a dénoncé «une idée extrêmement dangereuse» et un objectif qu’elle résume ainsi : «maîtriser l’information». Une lecture très politique d’une proposition encore floue, interprétée comme une tentative de reprise en main d’un espace médiatique que l’extrême droite juge historiquement hostile.
Jordan Bardella a prolongé l’offensive en évoquant une «tentation autoritaire» et une «dérive de la présidence». Sur les réseaux sociaux, le député européen assure que «la labellisation des médias est une idée dangereuse» et que «la liberté d’expression ne se filtre pas». Une manière de placer l’exécutif sur le terrain où il est le plus vulnérable : celui de la méfiance envers les institutions.
À droite, une pétition et des références à Orwell
Chez Les Républicains, Bruno Retailleau a opté pour un registre tout aussi accusateur. «Nul gouvernement n’a à trier les médias ni à dicter la vérité», écrit-il, appelant à refuser «un ministère de la Vérité». Le président du groupe LR au Sénat publie dans la foulée une pétition en ligne intitulée «Médias : oui à la liberté, non à la labellisation !», dénonçant une attaque contre «les médias qui déplaisent à la doxa progressiste».
L’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin juge la démarche «aussi scandaleuse que dangereuse» et rappelle qu’«Emmanuel Macron n’a reçu aucun mandat du peuple pour désigner les bons et les mauvais médias». Le texte de la pétition martèle que «ce n’est pas cela la démocratie», posant une ligne rouge symbolique à droite.
Éric Ciotti va plus loin encore. Il accuse le chef de l’État d’une «dérive illibérale», assimilée à «des pratiques de régimes autoritaires étrangers à la liberté française». Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, il demande «solennellement» de renoncer à cette piste.
David Lisnard évoque le «Glavlit» et l’«Index»
À la tête de l’Association des maires de France, David Lisnard s’est joint à la critique en estimant que les arguments contre un «label du bon média» «méritent mieux que cette communication stigmatisante et populiste de l’Élysée». Le maire de Cannes raille une tentative de «remettre une pièce dans la machine» à l’approche de la fin du quinquennat.
Sur X, il convoque deux images historiques lourdes de sens : le «Glavlit», l’organe soviétique de censure, et l’«Index Librorum Prohibitorum», la liste des ouvrages interdits par l’Église catholique. Une façon de placer la proposition macronienne dans une généalogie de dispositifs de contrôle jugés incompatibles avec une démocratie libérale.
Reconquête dénonce une «volonté de bâillonner»
Dans le camp d’Éric Zemmour, le ton est encore plus frontal. L’eurodéputée Sarah Knafo ironise : «Emmanuel Macron découvre Staline.» Le candidat à la présidentielle de 2022 estime que «le but de l’Élysée est clair» et promet que son mouvement «ne se laissera pas bâillonner». Une rhétorique martiale destinée à mobiliser un électorat particulièrement sensible à la question des libertés publiques.
L’Élysée riposte et crée une nouvelle brouille
Face au déluge de critiques, la présidence a publié une vidéo de 51 secondes rappelant que «parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation». Une réponse qui compile extraits d’émissions de télévision et messages politiques, manière d’illustrer l’écart entre les propos du chef de l’État et leur interprétation.
Mais loin d’apaiser les tensions, la démarche a suscité de nouvelles réprobations. «Je trouve cette vidéo indigne», réagit Marine Le Pen, estimant que la présidence «n’a pas à descendre dans l’arène en s’attaquant à des médias». La dimension institutionnelle, déjà au cœur des tensions, revient alors au premier plan.
Une défense timide dans le camp présidentiel
Dans cet environnement hostile, rares sont les voix qui prennent publiquement la défense du président. Nathalie Loiseau, eurodéputée Renew, rappelle que «donner plus de visibilité au journalisme professionnel devrait réunir tous les démocrates». Selon elle, la polémique repose sur «des propos déformés pour créer une indignation factice» et brouille une discussion utile sur la fiabilité de l’information.
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Pour l’heure, la gauche reste silencieuse, laissant la droite occuper tout l’espace du débat. Une absence remarquée qui témoigne peut-être d’une prudence stratégique : soutenir la proposition reviendrait à s’exposer sur un terrain inflammable, la critiquer à faire chorus avec ses adversaires.


