L’annonce est tombée mardi matin sur France Inter. Sophie Binet a confirmé être mise en examen pour injure publique, conséquence d’une plainte déposée par l’association patronale Ethic en février dernier. Au cœur du dossier, une sortie médiatique datant de janvier dans laquelle la responsable syndicale dénonçait les grands patrons « dont le seul objectif est l’appât du gain » et les comparait à des « rats qui quittent le navire ».
La cheffe de file de la CGT assure ne pas comprendre une procédure qu’elle juge disproportionnée et rappelle qu’elle visait, selon ses mots, « des délocalisations injustifiées et une logique de rentabilité qui détruit l’emploi en France ». La séquence intervient alors que le débat social reste extrêmement chargé, entre inquiétudes sur le budget 2026, fermetures d’usines et crispations autour des marges des grandes entreprises.
Une plainte patronale qui dénonce une atteinte à l’honneur
L’association Ethic, présidée par Sophie de Menthon, estime que les propos de Sophie Binet dépassent largement le cadre de la critique sociale. Pour ce mouvement patronal, « l’ensemble des grands chefs d’entreprise sont pris à partie » et la comparaison avec des rats constitue « une atteinte à leur honneur et à leur réputation ». Dans sa plainte, Ethic insiste sur le fait que la métaphore choisie par la responsable syndicale ne peut relever de l’expression symbolique, mais s’apparente à une stigmatisation directe.
Au sein du patronat, la réaction s’inscrit dans un contexte de crispations récurrentes avec la CGT, notamment depuis les conflits autour de la réforme des retraites et des négociations salariales. Certains dirigeants estiment que le niveau de violence verbale s’est accru ces derniers mois et voient dans cette procédure un moyen de poser une limite. D’autres, plus discrets, redoutent une judiciarisation durable des échanges entre partenaires sociaux.
Sophie Binet, de son côté, dénonce une opération destinée à « faire taire les critiques » et à détourner l’attention des enjeux de fond, notamment la question fiscale et le rôle des grandes multinationales dans l’économie française.
Une défense qui revendique la liberté d’expression syndicale
Sur France Inter, Sophie Binet a rappelé qu’elle avait « découvert » sa mise en examen avec stupeur. Selon elle, les propos incriminés relèvent du vocabulaire syndical classique, destiné à alerter sur les conséquences sociales de décisions prises par les plus grands groupes. Elle affirme avoir décrit une réalité perçue par de nombreux salariés, à savoir la mobilité des capitaux et les menaces récurrentes de délocalisation.
« C’est une image populaire », a-t-elle insisté, revendiquant le droit de parler sans filtre dans un débat public où les mots des syndicats, historiquement, ont souvent été vifs. Elle rappelle que l’expression visait une politique et non des personnes, et que la justice ne devrait pas devenir un arbitre des métaphores. À ses yeux, la mise en examen témoigne d’un « malaise profond » dans la relation entre représentants des salariés et dirigeants économiques.
Cette défense est soutenue par plusieurs composantes de la CGT, qui y voient un précédent inquiétant. Des fédérations du syndicat ont publié des messages dénonçant une démarche « qui cherche à intimider ceux qui dénoncent les injustices sociales ».
Une affaire qui relance un débat ancien mais jamais tranché
L’affaire Binet renvoie à une question récurrente dans la vie publique française : où s’arrête la liberté d’expression syndicale et où commence l’injure sanctionnable ? Historiquement, les tribunaux admettent une certaine marge dans le cadre des conflits sociaux, estimant que la virulence peut être inhérente à ce type de discours. La comparaison avec des animaux, elle, a déjà été jugée diversement selon le contexte, l’intention et la portée des propos.
Le dossier provoque déjà des réactions au-delà des seuls milieux concernés. Certains juristes y voient une procédure classique liée à la loi, d’autres alertent sur un risque d’entrave à la parole des représentants des travailleurs. Le débat s’étend également à l’espace politique, où plusieurs responsables de gauche dénoncent une « mise sous surveillance du discours social », tandis que la majorité reste silencieuse.
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Dans les prochaines semaines, la justice devra décider si les mots employés relèvent d’une opinion protégée ou d’une injure caractérisée. En attendant, cette mise en examen s’ajoute à un climat social tendu et pourrait, selon plusieurs observateurs, renforcer encore la détermination de la CGT à se poser en contre-pouvoir face aux grandes entreprises.


