Le 14 octobre, un motard de 37 ans circulant entre Paris et la Seine-Saint-Denis a été percuté par une voiture de police sur l’autoroute A4. La scène, filmée par la caméra embarquée d’un véhicule situé derrière lui, a rapidement été diffusée sur les réseaux sociaux, déclenchant une vive émotion. Déséquilibré mais parvenant à maîtriser sa moto, le conducteur a déposé plainte pour tentative de meurtre aggravée. L’affaire a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale.
Placés sous contrôle judiciaire fin octobre, les deux agents ont comparu ce lundi à Créteil pour violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique avec arme par destination. Le procureur de la République a requis dix-huit mois de prison avec sursis, assortis d’interdictions temporaires d’exercer et de porter une arme. Les fonctionnaires encourent jusqu’à sept ans de prison.
Des images devenues centrales dans l’enquête
La vidéo de la collision, au cœur de l’audience, montre la voiture de police se déporter vers le motard avant de toucher sa moto. Le passager tend alors le bras dans sa direction. Ces images ont été jugées « claires, limpides et édifiantes » par le procureur, qui y voit la « preuve reine » de violences volontaires. Le parquet estime que les explications données par les agents manquent de crédibilité, évoquant des « déclarations dénuées de fondement ».
L’IGPN a retracé les minutes précédant l’impact, s’appuyant sur des images de vidéosurveillance consultées par les enquêteurs. Elles montrent notamment le motard remonter la circulation en interfile, puis dépasser le véhicule de police par la droite, provoquant un freinage brusque des agents. Quelques minutes plus tôt, il avait légèrement coupé leur trajectoire, un épisode qualifié de « non-événement » par la présidente du tribunal mais présenté par la partie civile comme un possible déclencheur de colère.
Les enquêteurs se sont également attardés sur la manœuvre du conducteur : absence de clignotant au moment du déboîtement, choix d’une sortie située encore à 1,5 km, puis prise effective de la bretelle suivante seulement après la collision. Autant d’éléments jugés incohérents avec la version d’une simple manœuvre pour éviter un ralentissement.
Les policiers invoquent l’erreur de conduite et un malaise du passager
À la barre, le conducteur, Eric B., 53 ans, a reconnu une « faute de conduite » doublée d’une « manœuvre brutale ». Il affirme avoir mal évalué la position et la vitesse de la moto, tout en contestant toute intentionnalité. Il décrit également un « mouvement d’humeur », un lapsus relevé par la salle. Son coéquipier, Nils P., 26 ans, explique quant à lui avoir été pris de nausées, de fourmillements et de douleurs, au point de céder le volant à son supérieur quelques minutes avant les faits.
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Le gardien de la paix justifie son geste de bras tendu vers la moto comme un « réflexe » destiné à indiquer un changement de voie. Une explication qui a suscité le scepticisme du tribunal, d’autant que les vidéos ne le montrent pas prévenant les automobilistes à d’autres moments. Les deux agents affirment ne pas avoir senti l’impact, ce que les images contredisent frontalement selon le parquet.
Face au tribunal, ils disent regretter l’incident et assurent que le motard « aurait pu perdre la vie », mais maintiennent la thèse d’une « faute involontaire de conduite ».
Un motard traumatisé et une défense qui parle de “virilisme de chauffard”
La victime, Hugo V., a longuement décrit l’intensité du choc psychologique laissé par l’accident. « Je ne suis pas passé très loin de la mort », explique-t-il, évoquant des troubles du sommeil, une anxiété persistante et une incapacité à évacuer mentalement la scène. Il réfute totalement la version des policiers, affirmant n’avoir jamais été dans l’angle mort du véhicule.
Pour son avocat, Arié Alimi, les faits relèvent d’une volonté de domination. Il parle d’un « virilisme de chauffard » et rappelle qu’Eric B. a servi au sein de la BRAV-M, une unité controversée pour ses méthodes offensives. Selon lui, le comportement du motard quelques minutes plus tôt aurait déclenché une envie de vengeance.
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En face, la défense rejette toute lecture intentionnelle. Elle insiste sur l’absence de signes objectifs d’une altercation avant l’impact, récuse l’idée d’une « chasse à l’homme » et plaide pour une requalification en blessures involontaires, estimant que la preuve d’une volonté délibérée n’est pas établie.
Verdict attendu le 18 décembre
Le procueur a dénoncé des faits « extrêmement graves », susceptibles d’« amenuiser la confiance des citoyens dans l’institution policière ». Il a demandé au tribunal d’« envoyer un message ». Les avocats des policiers sollicitent au contraire une lecture stricte du droit, estimant que les éléments matériels ne suffisent pas à caractériser une intention.
Le jugement sera rendu le 18 décembre.


