« On croyait que la maison allait exploser » : à Marseille, dans la nuit suffocante de l’incendie

Reportage à Marseille, quartier de l’Estaque — mardi 8 juillet, 16 heures. Le ciel vire au jaune sale, les rafales soulèvent des nuages de poussière, et une odeur de brûlé pique déjà les narines. En contrebas de la colline, les flammes lèchent les premières habitations. Dans cette ville habituée au vent, quelque chose a changé. Le feu n’est plus à l’horizon. Il arrive.

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« C’est mon fils qui a crié le premier. Il voyait les flammes monter par le ravin », raconte Thérèse Autexier, 79 ans, assise sur un banc en plastique devant le gymnase Ruffi, transformé en centre d’accueil d’urgence. À ses pieds, une couverture de survie, des bouteilles d’eau tièdes. Sa petite-fille Claire, 11 ans, a cessé de pleurer mais ne parle toujours pas.

Trois heures plus tôt, elles étaient encore dans leur maison, impasse Pichou, sur les hauteurs de l’Estaque. Une maison modeste, une pinède juste devant, un petit figuier dans le jardin. « À 14h, on entend des explosions. Des bouteilles de gaz qui éclatent. C’était tout proche. »

Le feu a commencé à la mi-journée, du côté des Pennes-Mirabeau, à la jonction des autoroutes A55 et A7. Un véhicule en feu, attisé par un mistral brutal. Très vite, la pinède s’embrase. Les pompiers sont là, mais le vent pousse tout droit sur Marseille.

Une fuite en désordre

« On est sortis avec ce qu’on avait sur le dos. Mon fils arrosait les volets, il criait qu’il resterait, qu’il sauverait la maison. Il avait pris une pelle pour faire barrage aux flammes. C’était insensé. »

Les policiers arrivent vers 16h. Ils font évacuer rue par rue. « On est montés à sept dans leur voiture : Claire sur les genoux, deux dans le coffre, c’était absurde mais il fallait fuir. »

Au même moment, plus bas dans le quartier de Saint-Henri, Amine, 33 ans, filme avec son téléphone les flammes qui courent le long de la voie ferrée. « Le feu a suivi les rails jusqu’au rond-point, puis a sauté sur les palmiers devant France Travail. C’était comme une traînée d’essence. »

Il protège son visage avec un tour de cou. « Ça brûle les yeux, la gorge. J’ai envoyé ma femme et les enfants en centre-ville. Moi je suis resté, je voulais voir jusqu’où ça irait. »

1 000 pompiers, des renforts venus de tout le sud-est

Pendant que les habitants fuient ou improvisent des défenses dérisoires avec leurs tuyaux d’arrosage, les secours luttent contre une progression incontrôlable. Mille pompiers sont mobilisés. Les renforts arrivent de l’Ain, du Vaucluse, de la métropole de Lyon. Onze Canadair, plusieurs hélicoptères. « Mais face à ce vent, c’est presque du théâtre », souffle un pompier, casque noirci, croisé à l’angle du chemin de la Nerthe.

Les largages se succèdent, mais le vent redouble. Il soulève des étincelles qui sautent d’un massif à l’autre, franchissent des routes, passent des barrières de sécurité comme si elles n’existaient pas.

Une ville paralysée, les transports suspendus

L’aéroport Marseille-Provence suspend ses vols. La SNCF interrompt les lignes vers Paris, Toulouse, Bordeaux. L’autoroute A55 est coupée. Dans la soirée, la ville est comme figée sous une cloche de fumée.

Atmosud alerte sur une dégradation majeure de la qualité de l’air. À 22h, les rues du nord de Marseille sont noyées sous un nuage âcre. Les yeux piquent, les poumons brûlent. « J’ai jamais vu ça. Même pendant les feux de 2003, c’était pas comme ça », souffle un retraité évacué du quartier de la Viste.

Au gymnase Ruffi, l’ambiance est moite, saturée de tension. Des dizaines de familles dorment à même le sol. Une mère tient son bébé contre elle, sans savoir si elle retrouvera sa maison intacte. Un adolescent tourne en boucle la même vidéo du feu sur son téléphone, comme pour se convaincre que c’était bien réel.

Le jour d’après

Mercredi matin, le feu est contenu mais pas encore maîtrisé. Plus de 700 hectares ont brûlé. Une soixantaine d’habitations ont été touchées, certaines détruites. Le mistral souffle encore, et les pompiers savent que tout peut repartir.

« C’est une saison qui commence tôt, et fort », lâche un commandant de la caserne de Saint-Loup, les traits tirés. « Il reste encore deux mois d’été. On n’a pas fini. »

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