Il y a ceux qui gagnent sur la piste, et ceux qui tiennent la distance dans les bilans. En remportant les deux dernières éditions, Ferrari a signé son retour au sommet de l’endurance. Mais au-delà des trophées, c’est une stratégie économique assumée que les constructeurs déploient aux 24 Heures du Mans. Sous le capot, la mécanique industrielle tourne à plein régime.
Une régulation budgétaire aux limites bien souples
Le règlement Hypercar, en vigueur depuis 2021, impose un plafond budgétaire de vingt millions d’euros pour deux voitures, incluant le développement, l’exploitation et la logistique. Cette limite, censée prévenir l’inflation des coûts et ouvrir la compétition à un plus grand nombre d’acteurs, reste théorique. « C’est un cadre plus qu’un véritable plafond », confie un cadre technique de l’ACO. Tous les grands constructeurs s’en approchent, sans forcément le respecter à l’euro près.
Les pièces standardisées, l’encadrement du personnel et la simplification aérodynamique permettent de contenir les écarts, mais à ce niveau, la moindre marge se paie cher. Derrière la façade de l’égalité réglementaire, les plus puissants continuent de creuser l’écart par la sophistication de leur ingénierie, la densité de leurs simulations ou la qualité de leur logistique.
Trois visions du Mans, trois logiques d’investissement
Ferrari, revenu en 2023 après cinquante ans d’absence, a transformé sa 499P en objet de communication à part entière. L’Hypercar hybride incarne un récit de performance maîtrisée, soutenu par une double victoire et un engagement pérenne jusqu’en 2027. Toyota, double vainqueur au temps de la catégorie LMP1, mise sur la régularité et l’exploitation optimale d’un package technique désormais bien rodé.
Cadillac, présent avec quatre voitures cette année, déploie une stratégie d’implantation agressive sur le marché européen. Son programme d’endurance, adossé à General Motors, sert autant la compétition que le positionnement haut de gamme de la marque. Porsche, enfin, partage les coûts de son LMDh avec plusieurs écuries clientes, tout en assurant une visibilité mondiale à ses modèles.
Petits budgets, grandes contraintes
Face à eux, les équipes privées s’en remettent à la Balance of Performance. Ce système d’équilibrage technique ajuste puissance, poids et consommation pour resserrer artificiellement les écarts entre voitures. Sur le papier, il donne une chance à tous. Dans les faits, il offre surtout une illusion d’égalité. « On ne joue pas avec les mêmes outils, mais on joue dans le même championnat », glisse un ingénieur d’Isotta Fraschini.
Sans appui constructeur, ces structures doivent aussi convaincre sponsors et partenaires. Les budgets tournent autour de 10 à 15 millions d’euros, mais sans la stabilité financière des grands groupes, chaque saison devient un pari. La moindre casse, le moindre abandon, peut remettre en question l’ensemble du programme. À l’inverse, une bonne performance, même ponctuelle, garantit une visibilité précieuse.
La vitrine mondiale d’un sport à monétiser
Au-delà du résultat sportif, Le Mans reste un levier marketing. Avis Budget Group, partenaire majeur du WEC, utilise sa présence pour promouvoir sa flotte hybride et électrique. Ferrari revendique un gain d’image direct depuis son retour, avec un impact mesurable sur les ventes de ses modèles routiers. Pour Toyota, l’endurance sert aussi de laboratoire technologique, notamment sur les questions liées à l’hydrogène.
Même Alpine, pourtant en retrait cette année, capitalise sur sa participation pour renforcer son identité sportive et asseoir ses ambitions dans le haut de gamme. La course devient un outil de communication globale, où chaque tour de piste est aussi un message de marque.
Un modèle rentable… tant qu’on gagne
Mais ce modèle a ses limites. Peugeot, après trois saisons sans podium, a entamé une réflexion sur son avenir dans la discipline. BMW, dont la M Hybrid V8 fait ses débuts au Mans cette année, observe de près l’évolution des coûts. Le retour sur investissement reste difficile à chiffrer, surtout en l’absence de résultats.
Toyota et Ferrari, en revanche, ont déjà prolongé leur engagement jusqu’en 2027. Leur stabilité contraste avec la fragilité des acteurs plus modestes, dont la pérennité dépend encore largement de résultats visibles et de partenariats solides. À défaut de gagner, il faut convaincre. C’est aussi ça, courir au Mans.